Un petit retour en arrière s’impose sur l’affaire du service des votations et élections (SVE), qui a défrayé la chronique avant de se dégonfler. Je reviens ici sur ces événements, sur le traitement de la crise par EàG et sur les enseignements à en retirer. Avant que n’éclate l’affaire, EàG s’était déjà inquiété du risque de fraude électorale induit par la possibilité de voter par internet et par la poste. Rappelons qu’une enquête sur une possible fraude électorale avait été ouverte par le Ministère public en avril 2018.

Lors de l’enquête, la police avait trouvé une soixantaine de bulletin de vote modifiés et des photographies de sacs qui donnaient l’impression d’être remplis d’enveloppes contenant du matériel de vote. La principale suspecte avait été condamnée pour captation de suffrage (282bis CP). Suite à cette affaire, et à l’analyse des déclarations passées du directeur du SVE J’ai donc posé une question urgente au Conseil d’Etat en pointant du doigt des faiblesses du processus électoral. Dans sa réponse à la question QUE927A, le Conseil d’Etat a admis l’existence des failles, et a précisé que la sécurisation du processus par l’expédition de deux enveloppes séparées, l’une contenant un code de validation du bulletin contenu dans l’autre, coûterait un peu plus de 1,2 million de francs par année.

Le 19 décembre 2018, j’ai déposé une proposition de motion M 2516, pour l’amélioration de la sécurité du vote par correspondance et par internet, qui invitait le Conseil d’Etat à mettre en place des contrôles aléatoires des signatures, et à rendre un rapport au Grand Conseil sur les risques de fraude électorale et les moyens d’y remédier. Le 8 mai 2018, le directeur du SVE était entendu par la commission des droits politiques sur la motion, et le 9 mai 2018, peu avant midi, la nouvelle fut annoncée par la publication d’un article sur le site web de 20 minutes : la police avait perquisitionné le SVE, en raison du soupçon que plusieurs scrutins, certains vieux de plusieurs années, avaient été truqués.

L’émotion était immense et la course à l’information commença. Le Ministère public confirma l’information, mentionnant l’arrestation du suspect et la source de l’information, soit une dénonciation à la Cour des comptes. La RTS fit état d’une possible rémunération de 100 francs par voix, et de destruction au hasard de matériel rempli pour équilibrer les comptes. Des scrutins précis furent évoqués : la loi sur la police, notamment, eût passé en raison de la fraude. Eric Stauffer enfin s’époumona : « Je le savais », « Je comprends maintenant je n’ai jamais été Conseiller d’Etat ».

La réaction du Conseil d’Etat fut particulièrement maladroite. Antonio Hodgers donna – volontairement ou pas – l’impression que l’affaire n’avait pas d’importance, et parti trois jour au Montenegro (en avion) pour le voyage des Maires. Alors que Genève était suspendue, il donna une simple interview par téléphone, depuis le Montenegro, sur Forum vendredi 10 mai, sans se rendre compte à quel point le canton était en émoi. Il répéta en boucle qu’il n’existe aucun élément qui permis de conclure à une fraude, et donna quelques explications assez bancales, sans pouvoir expliquer de manière cohérente pourquoi cette affaire avait éclaté. Peu convaincues, de nombreuses voix commencèrent à s’interroger sur une éventuelle annulation du scrutin du 19 mai.

Dans ce contexte, EàG tint dès vendredi 10 mai après-midi une position claire : Si le Conseil d’Etat ne pouvait pas garantir que des fraudes n’affecteraient pas le scrutin du 19 mai, il faudrait l’annuler et recommencer les opérations à zéro. Vendredi soir, je fus interviewé sur Forum immédiatement après Antonio Hodgers. Je pus exposer cette position, ne cachai pas mon irritation devant la réaction superficielle du Président du Conseil d’Etat, je demandai une transparence totale de la part du Conseil d’Etat et du Ministère public sur l’enquête en cours. EàG décida de déposer un projet de motion visant à ouvrir une procédure de reconsidération de tous les votes qui affectés par la fraude, ainsi que le renforcement de la Commission électorale centrale, afin qu’elle puisse mieux surveiller la réception des enveloppes de vote au SVE.

Lundi, vers 13h30, intervient une très attendue conférence de presse d’Olivier Jornot. En résumé, pas d’infraction pénale, et une attaque frontale contre le SVE : processus insuffisamment sécurisés, problèmes d’organisation, bulletins trouvés à gauche à droite, sacs contenant des bulletins détruits, sans fraude volontaire. Olivier Jornot fit même état d’une caisse de matériel de vote détruite par erreur lors d’un précédent scrutin. L’effroi retombe, et quelques heures plus tard, Hodgers se fâcha sur les journalistes, qui avaient soi-disant monté en épingle une non-information.

Mardi, EàG maintint sa motion et demande l’urgence au Grand Conseil, arguant que la désorganisation pointée du doigt par Olivier Jornot justifiait une reconsidération des votes passés et un renforcement de la Commission électorale centrale. Le Grand Conseil rejeta l’urgence à une petite majorité – seuls l’UDC et le MCG la soutinrent.

EàG a bénéficié d’une visibilité médiatique exceptionnelle durant cette crise. Nous étions profilés avec sérieux sur la problématique de la sécurité du vote, ce qui a conduit les journalistes à nous contacter en premier lieu pour obtenir nos réactions. La presse n’a pas manqué de faire le rapprochement (pourtant inexistant) entre les questions soulevées par EàG et l’affaire en cours. Nous avons eu une posture claire et raisonnable, en exigeant la transparence de la part des autorités, et la garantie que le scrutin en cours n’était pas affecté. Aujourd’hui, je pense toutefois que nous avons peut-être accordé trop de crédit aux attaques d’Olivier Jornot contre le SVE. Nos critiques contre le SVE se sont fondées en grande partie sur ses déclarations, alors que sa position est loin d’être claire. Il est en réalité assez difficile de savoir si ses déclarations visaient à se présenter comme le sauveur de Genève, ou si ses critiques étaient justifiées. Quand bien même EàG a su réagir de manière adéquate durant cette crise, nous devrons être plus vigilants que jamais, dans les crises futures qui ne sauraient manquer d’éclater, à ne pas céder trop rapidement aux requêtes médiatiques, à prendre le temps de la réflexion collective avant de se prêter à des interviews, quitte à y perdre un peu en visibilité. La tentation est grande d’être les premiers à réagir, mais le risque existe de diffuser un discours du « tous pourris » qui nuirait à la confiance que la population et les médias accordent à nos propos.

Pierre Bayenet