Au vu de l’intérêt visiblement suscité par l’intervention de Rémy Pagani, Maire EàG de la Ville de Genève, lors de la célébration de la fête nationale espagnole par le Consulat général d’Espagne à Genève, samedi dernier, vous retrouverez ci-dessous reproduite son intervention.

 

Monsieur le Consul général d’Espagne, Excellences,

Mesdames et Messieurs, Chers Ami-e-s,En ma qualité de Maire de Genève, c’est un plaisir et un honneur d’être parmi vous, à l’occasion de cette fête nationale et de pouvoir vous adresser quelques mots au nom de la Ville de Genève et en mon nom personnel.

Quand je parle de plaisir et d’honneur ce ne sont pas seulement des formules protocolaires: les liens d’amitiés que nous entretenons avec l’Espagne, collectivement et individuellement, sont en effet d’une richesse et d’une intensité sans guère de pareils. Il y a quelque chose comme quinze mille résidents à Genève qui sont enregistrés pour leur passeport espagnol comme “étrangers”, mais combien de dizaines de milliers de nos compatriotes et des vôtres sont, statistiquement, Genevois, et Suisses, et pleinement inséré, mais restent de cœur et de tête attachés à leurs racines espagnoles…et quand je dis espagnoles, c’est évidemment un raccourci maladroit car ces racines plongent dans la terre ibérique dans sa diversité de l’Andalousie à la Catalogne en passant par la Galicie, la Castille ou l’Aragon, la province de Murcie, la communauté valencienne, la région de Madrid et le pays basque…pour ne nommer que quelques-unes des 17 régions et communautés qui font la richesse et la diversité de votre grand pays…

Or cette diversité et cette origine au-delà des Pyrénées d’une partie de nos habitant-e-s ne sont pas pour nous Genevois un phénomène “étranger” ils sont une partie intégrale et constitutive de notre identité propre, et à nous, de notre identité “genevoise”, qui est faite de cette intégration de couches et de générations successives d’immigrations d’origines diverses… Talleyrand disait pour nous narguer, il y a cinq continents… et puis il y a Genève ! Nous disons il y a cinq continents et ils sont tous à Genève, ils y a des dizaines de nations en Europe et elles sont toutes Genève, parmi celles-ci vous êtes dans les premiers. J’entendais dans une manifestation récente des jeunes – parlant d’immigration – scander: Première, deuxième, troisième génération… on s’en fout, on est chez nous ! C’est cru, mais c’est vrai et on peut en être fiers ! Vous êtes donc ici, chez vous… Pour ne prendre qu’un exemple, ma collègue, Madame Maria Pérez, conseillère municipale  est née à Genève et en Ville de Genève… mais elle est espagnole, hispanophone et madrilène… cela ne la fait pas moins genevoise.

Pour ma part, si vous me permettez une note personnelle, parmi mes tous premiers engagements dans une vie politique qui m’a conduit ou je suis , il y a, il y a plus de 40 ans …ma participation aux côtés de camarades et d’ami-e-s et de collègues espagnols aux grandes manifestations qui au début des années 70, qui ont vu marcher au coude à coude dans la rue les immigrés espagnols, hommes et femmes, et les démocrates et progressistes genevois pour dire leur rejet des exactions d’un régime franquiste crépusculaire, qui persistait à nier les droits politiques, syndicaux et sociaux des Espagnol-e-s. Et cet engagement de Genevois et de Suisses en défense de la démocratie en Espagne n’est pas nouveau. Au bout de la Plaine de Plainpalais, sa mémoire a été matérialisée, en Ville de Genève et par la Ville de Genève, au travers d’un monument réalisé par un artiste espagnole.

Ainsi, la mémoire est importante, on ne peut rien fonder de solide sur l’effacement de celle-ci ou sur l’oubli… de ce point de vue Amnesty International rappelait récemment que selon le Comité des droits de l’homme de l’ONU, « les amnisties […] empêchant que les auteurs de graves violations des droits de l’Homme comparaissent devant les tribunaux sont incompatibles avec les obligations faites à tout Etat d’enquêter sur les crimes ». De ce point de vue, vous pouvez compter sur notre solidarité sur le chemin à faire encore pour lever les obstacles et pour que l’Espagne aille au bout de sa transition démocratique, au bout de la nuit franquiste, pour que la lumière et la justice viennent nettoyer les ombres et l’arbitraire du passé…

Vous me permettrez aussi de dire combien, dans la crise constitutionnelle que traverse aujourd’hui votre pays en ce qui concerne la Catalogne, nous sommes à vos côtés, et favorables à une solution négociée dans le respect des droits de toutes les parties concernées… Nous sommes bien placés à Genève et en Suisse – et je suis bien placé – pour comprendre et partager des choses qui paraissent élémentaires au bord du Léman, par exemple les gens doivent pouvoir s’exprimer dans les urnes, même quand les questions posées ne plaisent pas aux autorités, si même une fraction de la population le demande… Nous le faisons tous les jours avec nos référendums et nos initiatives.

Autoriser un vote ne préjuge pas de son résultat, empêcher un vote populaire, quand on n’est pas sûr de le gagner est par contre une erreur… de nature à se retourner contre ses auteurs. Envoyer des unités de police pour s’affronter manu militari à des gens qui votent et les empêcher de le faire est une faute politique manifeste. Certes, la Constitution espagnole proclame l’unité “indissoluble” de la nation espagnole… mais les constitutions se modifient, la genevoise par exemple l’a été, il y a moins d’un mois, pour rendre plus facile précisément l’accès au vote populaire sur toutes les questions, y compris les questions constitutionnelles… Et, pour prendre une analogie, n’est-il pas évident que le droit au divorce – l’une des conquêtes de la transition démocratique espagnole – n’est nullement la négation de la famille ou du couple, mais l’une des conditions de liens librement consentis! Si on n’a pas le droit de se séparer quel mérite a-t-on à rester ensemble quelles que soient les proclamations de l’église ou d’autres autorités sur l’indissolubilité du mariage?

Il en va de même pour les peuples, les nations et les régions… l’unité ne peut pas se proclamer d’en haut… elle doit venir d’en-bas pour être démocratique… nous le savons dans ce pays qu’est la Suisse, dont l’unité incertaine est sans doute d’autant plus solide qu’elle est librement consentie… Nous sommes un pays surtout dans lequel nos républiques cantonales ne tirent pas leur autorité où leur légitimité d’une quelconque délégation de l’État central, mais directement de leurs peuples souverains ! Dans ce sens, on ne peut que souhaiter que s’ouvrent des négociations véritables entre les autorités centrales et les autorités catalanes pour trouver des voies de sortie de crise. Et des négociations sans préconditions… le chef de l’Exécutif catalan a suspendu les effets de leur déclaration d’indépendance pour permettre de telles négociations, ne serait-il pas sage que le gouvernement espagnol accepte ce geste de bonne volonté et tente un pas, lui aussi, vers le dialogue, plutôt que de brandir la menace de l’art. 155 de la constitution espagnole et d’exiger de l’autre partie un oui ou non a priori, alors que les autorités catalan disent oui et non, ce qui est une bonne base de discussion.

On me dira que Pagani s’occupe de choses qui ne le regardent pas, que je m’ingère dans une affaire intérieure espagnole… Pour ma défense, je réaffirme que Genève c’est aussi un bout d’Espagne, que nous sommes – un peu – en famille et que nous avons une longue et respectable tradition d’ “ingérence” en Espagne et réciproquement d’engagement d’Espagnol-e-s chez nous… Mais surtout, ces remarques que j’ai tenu à vous adresser sont le fruit du profond attachement que je porte et que porte notre cité à votre pays et à ses habitant-e-s, pour qui nous formons les vœux les plus ardents pour qu’ils surmontent non seulement cette crise institutionnelle, mais les effets de la crise planétaire d‘un système économique qui prive d’emplois et de perspectives d’avenir une bonne part de la jeunesse espagnole, pour ne parler que d’elle.

Pour conclure, j’adresse personnellement à chacun-e d’entre vous mes vœux les plus sincères de santé et de prospérité et je vous remercie de tout ce que vous apportez à notre ville et à notre canton.

Rémy Pagani