La commission des finances du Grand Conseil a adopté un budget 2023 qui prévoit 417 millions de déficit. En réalité, il ne dépasse le déficit admis, après l’adoption de la RFFA (baisse de moitié de l’impôt sur les bénéfices), que de 115 millions. Et le bruit court, que les comptes 2022 seront nettement positifs… Les finances de la république ne sont donc pas en danger, bien au contraire. Il faudra certes encore valider ce résultat d’étape en plénière, les 15-16 décembre prochains.

Pourquoi la droite s’étrangle-t-elle de rage ?

D’abord, parce qu’elle refusait les quelque 490 postes supplémentaires prévus, par rapport au budget 2022 en 12e provisoires. Elle aurait voulu les réduire au moins de moitié. Ensuite, parce qu’elle avait réussi à convaincre un Conseil d’État à majorité de gauche de priver une nouvelle fois la fonction publique de ses annuités, pourtant prévues par la loi, et d’accorder une demi-indexation des salaires à 1,35%, inférieure même à celle pratiquée en moyenne dans le privé (selon un député PLR).

En réponse à la mobilisation et au mouvement de grève de la fonction publique, la ministre des Finances PLR, Nathalie Fontanet, avait cependant été contrainte à pousser l’indexation à 2,44% et promettait des annuités différées, pour autant que les comptes soient positifs et que l’excédent soit suffisant. Tel était le contenu de l’accord passé avec le Cartel intersyndical.

Entre-temps, la Commission des finances n’a pas accepté de suivre la conseillère d’État sur un point qui est de la compétence du Grand Conseil en refusant de déroger une nouvelle fois à la loi en supprimant les annuités. La bataille syndicale avait permis de gagner l’essentiel : une indexation des salaires proche des 2,7% observés par l’Office cantonal de statistique. La commission des finances a fait le petit bout de chemin restant : refuser de faire des annuités une sorte de prime aléatoire, dépendant de comptes excédentaires de plusieurs dizaines de millions.

Par chance, le MCG, qui rêvait d’un deal « au centre », avec le PDC et la gauche de gouvernement, n’a pas réussi à se mettre d’accord sur une réduction des postes budgétés supérieure à 50, comme prix de son ralliement. Il a donc dû se résoudre à soutenir un projet de budget avec l’indexation à 2,44, arrachée par les syndicats, la pleine annuité immédiate et une réduction des nouveaux postes à 50 sur les près de 500 prévus.

Comment avons-nous voté ?

Pour obtenir une majorité, la gauche gouvernementale et le MCG avaient encore besoin d’EAG. Or, nous ne voulions pas d’une suppression de postes, même minime. Nous avons donc exigé en compensation un supplément de charges sous forme de subventions (et donc aussi de postes) à hauteur de 4,4 millions pour des secteurs sociaux en souffrance (l’éducation spécialisée, le soutien à la parentalité et les immeubles encadrés pour personnes âgées) ; pour la culture et le sport populaires ; enfin, pour la création de 3 postes d’éducateurs supplémentaires pour le Centre de détention de la Clairière en lutte, dont nos élu-e-s ont soutenu les piquets de grève.

Amendements votés sur proposition d’EAG

Soutien au livre et à l’écrit + 300 000   
Intermittents du spectacle+ 200 000   
Sport encadrement et entraînement des jeunes+ 50 000   
UOG+ 100 000   
Enveloppe dispositif enseignement spécialisé+ 1 000 000   
Mesures éducatives et de placement des enfants+ 1 500 000   
Conservatoire populaire de musique+ 250 000   
3 postes d’éducateur pour le foyer de détention de La Clairière+ 359 850   
Immeubles avec encadrement pour personnes âgées+ 500 000   
Observatoire de la santé+ 100 000   
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TOTAL+ 4 359 850   

Symboliquement, cette enveloppe compense financièrement la suppression de 50 postes, dont une partie sera d’ailleurs récupérée en 2023, sous forme de crédits extraordinaires impératifs.

Un succès limité

Ce résultat est un petit succès d’étape, compte tenu des rapports de force actuels, rendu possible par la mobilisation des salarié·e·s. À noter qu’il doit aussi à la proximité des élections cantonales, qui a poussé le MCG à des contorsions invraisemblables. Ce parti a en effet soutenu en même temps un projet de loi du PLR, pourtant contraire au droit supérieur, qui dispense les propriétaires d’une réévaluation de la valeur fiscale (largement sous-évaluée) de leurs biens et réduit de 15% l’impôt sur la fortune. Les pertes attendues sont d’une centaine de millions de francs pour le canton et les communes.

Pour autant, la suppression de 50 postes, même si une partie sera récupérée l’année prochaine en crédit extraordinaires, afflige cet accord d’une concession dangereuse. En effet, il semble admettre, certes du bout des lèvres, qu’il n’est pas possible de maintenir le salaire réel du personnel de la fonction publique (annuités et indexation) sans accroître encore sa charge de travail et réduire les prestations à la population, ne serait-ce qu’à la marge.

Nos positions de fond

Au contraire, nous n’avons cessé de défendre :

  • Que les besoins de la population augmentent beaucoup plus vite que ses effectifs en raison de l’explosion des charges de santé (vieillissement), de formation (exigences du marché du travail) et d’aide sociale (augmentation de la pauvreté, renchérissement).
  • Que les cadeaux fiscaux accordés aux privilégiés, personnes physiques et morales réunies, depuis une vingtaine d’années, privait aujourd’hui l’État et les communes d’environ 1,5 milliard de francs de recettes par an.
  • Que les déficits budgétaires qui se succèdent d’année en année, sont suivis, comme par hasard, par des excédents aussi prévisibles des comptes. On voudrait nous rouler dans la farine, qu’on ne ferait pas mieux !

Pour ces raisons nous allons nous battre pour que les privilégiés paient la part des impôts qu’ils doivent. De ce point de vue, le succès de notre initiative visant à taxer les dividendes des gros actionnaires sur un pied d’égalité avec les salaires et les retraites (+ 150 millions par an) (votation le 12 mars prochain), mais aussi celle visant l’imposition plus forte de la part des fortunes supérieure à 3 millions sur 10 ans (+ 250 millions par an) (votation prévue plus tard en 2023), doivent ouvrir le chemin. Il en va de même du référendum contre la baisse de l’imposition des propriétaires et des grandes fortunes, votée tout récemment par la majorité de droite et du MCG, au Grand Conseil.

Jean Batou