L’IN 183 « Pour l’abolition de la taxe professionnelle », que les jeunesses des partis de droite ont fait aboutir, ferait perdre quelque 190 millions de francs par an de recettes fiscales aux communes de notre canton : Carouge (-17,5%), Meyrin (-15,6%), Satigny (15,0%), Plan-les-Ouates (-14,9%), Genève (11,4%), Bellevue (-10,3%) ou Vernier (-9,8%). De plus, elles perdraient un élément clé de leur autonomie fiscale.
La taxe professionnelle est perçue par la grande majorité des communes (les communes les plus riches ne la perçoivent pas) sur les entreprises et les indépendants, essentiellement au prorata de leur chiffre d’affaires – le taux dépendant du secteur –, de leurs charges locatives (marginalement) et du nombre de leurs employé·e·s (ultra-marginalement).
Avec la proposition de baisse linéaire de 5% de l’impôt sur le revenu, qui priverait l’État de plus de 200 millions de francs par an et le projet de réévaluation fiscale des immeubles, qui lui coûterait encore 100 millions de francs, c’est un cocktail de baisses d’impôts d’un demi-milliard que défendent aujourd’hui différents milieux de droite, moins de deux après avoir réduit de moitié l’impôt sur les bénéfices des entreprises (RFFA).
Cette politique de siphonage accéléré des caisses des collectivités publiques et de creusement volontaire des déficits vise à réduire les prestations sociales et les subventions communales et cantonales, dans une période où, au contraire, il s’agirait de les renforcer pour faire face à la crise qui frappe une grande majorité de la population de notre canton.
Au niveau des communes, un tel choc fiscal les empêcherait de fournir des prestations essentielles, aujourd’hui sous-développées, comme les structures d’accueil de la petite enfance, surtout que l’État entend transférer certaines de ses charges aux communes, comme les subventions aux TPG (70 millions prévus par le Plan financier quadriennal 2023-2026).
La majorité de la commission fiscale s’est cependant prononcée pour un contre-projet dont la philosophie est la suivante : l’imposition des bénéfices des entreprises (RFFA) étant soumis à un plancher de 15%, imposé à l’échelle internationale, les autorités fédérales vont devoir imposer des hausses de taux pour les sociétés réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros, ceci dès 2024. Genève devra donc hausser d’un point le taux d’imposition de 300 à 500 très grandes sociétés.
Paradoxalement, alors qu’on nous a « vendu » la troisième réforme de l’imposition des entreprises comme le seul moyen de garder en Suisse le siège des sociétés multinationales disposant de statuts fiscaux privilégiés, menacées de mesures de rétorsion fiscale par les pays où elles conduisent l’essentiel de leurs affaires, ce sont elles qui verront l’imposition de leurs bénéfices augmenter, tandis que les autres entreprises, qui n’avaient pas demandé de rabais fiscal, conserveront un taux plus faible. Comprenne qui pourra…
Vu que cette hausse de l’imposition des bénéfices des grandes entreprises devrait se traduire par une hausse de recettes fiscales, elle pourrait compenser une partie des ressources perdues au titre de la suppression de la taxe professionnelle. C’est avec cet arguent que la majorité de la commission fiscale a choisi de travailler à un contre-projet. Ainsi, les très grandes entreprises pourraient-elles échapper aux mauvaises nouvelles venues de Washington et de Bruxelles grâce aux attentions particulières de nos autorités cantonales.
Bien sûr, cette nouvelle manne cantonale devrait être affectée aux communes en compensation de la suppression de la taxe professionnelle. Mais elle constituerait en même temps un moyen de pression bienvenu pour l’État qui entend leur transférer une partie de ses charges. On comprend ainsi que cette réaffectation n’aurait pas la même solidité et la même stabilité que la taxe professionnelle, perçue aujourd’hui par les communes.
C’est pourquoi, le groupe EAG a non seulement appelé le Grand Conseil à rejeter cette initiative, mais aussi à refuser tout contre-projet.
Jean Batou