La séance du Grand Conseil du 25 mai 2018 a donné lieu à un intéressant débat sur la question de la nationalité des policiers. Formellement, trois visions s’affrontaient : MCG+UDC en faveur de l’inscription dans la loi sur la police de la condition de nationalité Suisse ; PLR+PDC en faveur du statu quo, VERTS+PS+EAG en faveur de l’admission des permis C. En réalité, il y a bien eu deux blocs, MCG+UDC+PLR+PDC contre l’ouverture aux étrangers, VERTS+PS+EAG en faveur de l’ouverture aux étrangers. C’était une magnifique occasion de réentendre les lénifiants discours de la droite sur la beauté de la patrie. Hélas, ce romantisme nationaliste s’est traduit en actes, et a conduit le Grand Conseil à s’écarter des ouvertures aux étrangers qui sont pratiquées depuis belle lurette et avec succès dans certains cantons (Jura, Bâle, Neuchâtel, Schwyz). 

La loi sur la police ne pose pas expressément la condition de la nationalité suisse pour accéder aux fonctions de policiers. Historiquement, nous a expliqué le PLR, la condition de nationalité était implicitement garantie par le fait que les candidats devaient avoir fait leur école de recrue. C’était évidemment une bonne manière de se préserver de l’infiltration des objecteurs de conscience – mais cela a finalement été levé. Aujourd’hui, vous l’aurez remarqué, tout change puisqu’il y a des femmes dans la police, et la barbe est autorisée. Pour éviter que des étrangers ne se glissent dans cette faille, Pierre MAUDET a fait inscrire, en 2014, l’obligation de nationalité dans le RPAC. Mais le MCG et l’UDC ont pris peur et, chacun de leur côté, ont déposé des projets de loi visant à inscrire dans la loi (ou « graver dans le marbre », selon les termes des initiants) l’exigence impérative de la nationalité Suisse.

A l’inverse et en parallèle, les verts ont eu la bonne idée de proposer l’ouverture de cette catégorie de fonctionnaires à des étrangers titulaires d’un permis C. Précisons qu’aujourd’hui, les policiers peuvent entrer en formation s’ils sont au bénéfice d’un permis C, et bénéficient alors d’une naturalisation « fast track » qui doit être terminée au moment de leur entrée en fonction.

MCG et UDC nous ont donc rappelé, tout au long de ce débat, à quel point la Police devait avant tout être attachée à Genève et à la Suisse. La police, dernier rempart de protection de la population genevoise, a subi la comparaison avec des forces armées, elle a été dépeinte comme l’ultime bastion d’honneur national et d’identification avec la patrie. La plus belle preuve d’engagement pour son pays, c’est de rejoindre la Police, a-t-on entendu de ce côté du Grand Conseil. Ils ont oublié un argument essentiel – que nous ne leur avons pas soufflé : en chaque Suisse sommeille un policier, il est donc facile de le réveiller – alors qu’avec les autres nations, qui sont biologiquement différentes, on ne sait pas trop comment faire et il ne faut pas prendre de risque.

PLR et PDC avaient un discours tout à fait morne : rejet du « mondialisme » et de la « xénophilie » de la gauche, indignation face à l’image dégradante de la nation suisse suggérée par l’extrême gauche, critique polie et compréhensive face à la flambée nationale des cousins MCG et UDC. Laissons faire le magistrat, la loi est claire.

Et enfin, à gauche, un triple discours. Utilitariste d’une part (les policiers étrangers ont un bagage culturel qui simplifiera leur mission et favorise l’intégration des communautés étrangères ; l’ouverture aux étrangers augmentera le bassin de recrutement et donc améliorera la qualité des recrues) ; parfois un peu gentillet (les potes avec lesquels j’ai grandi sont aussi genevois que moi, quelle que soit leur nationalité), et enfin, de la part d’EAG une petite provocation : alors que la nationalité Suisse ne se mérite pas (pour les enfants de Suisses) et ne se retire pas (lorsque l’on commet une infraction) un permis C doit se mériter, et est retiré en cas de problème. Conclusion : mieux vaut engager des permis C que des Suisses, car ils offrent plus de garanties de probité (à ce moment précis, l’UDC s’offusque). Plus sérieusement, EAG a rappelé que le rôle d’un policier n’est pas de défendre la nation mais de défendre la population, que la condition pour faire ce métier était l’attachement à la mission de service public, et non l’attachement à la patrie, et qu’il fallait avant tout des recrues attachées à protéger la population, et non à protéger l’Etat. Toute la gauche a applaudi – ouf, on est encore d’accord sur quelques fondamentaux.

Résultat des votes : les propositions UDC/MCG sont rejetées, la proposition verte est rejetée. Statu quo, le PLR a gagné.

par Pierre Bayenet, député EàG,
pierre.bayenet@gc.ge.ch