Cette phrase tirée de la chanson des Restos du cœur exprime une vérité première. Pourtant celle-ci est contredite au quotidien par une coupable inertie. A Genève, la découverte des longues queues pour obtenir des sacs de denrées alimentaires dès le printemps 2020 a frappé les esprits. La crise Covid a agi comme un révélateur et provoqué un nécessaire électro-choc. Celles que l’on a qualifié de « files d’attente de la honte » ont mis à jour une réalité trop longtemps occultée. Elles ont irrémédiablement démenti le déni ambiant sur l’existence d’une terrible précarité à Genève, d’une grande pauvreté – totalement déplacée – dans l’un des cantons les plus riches de Suisse.

Certes, la crise Covid et ses incidences sur l’activité économique ont démultiplié les pertes d’emploi, les suspensions d’activités, les réductions de revenus ; autant de facteurs qui ont placé nombre de personnes en difficulté, notamment pour faire face à leur besoin essentiel de se nourrir. Dans ce contexte, le nécessité d’instituer un droit à alimentation est apparue.  D’où cette démarche qui consiste à inscrire dans la Constitution un droit spécifique à l’alimentation, en y adjoignant la notion d’une alimentation adéquate et le droit d’être à l’abri de la faim.

Evidemment, d’aucuns objecteront, et avec raison, que les magnifiques droits fondamentaux inscrits dans la Constitution ne sont pas opposables. C’est là une lacune particulièrement dommageable. Elle est atténuée néanmoins par l’affirmation contenue à l’art. 41 de CST-GE qui stipule que ces droits doivent être respectés, réalisés et protégés, et par cette mention cruciale à son art 43 qui déclare que « L’essence des droits fondamentaux est inviolable ».

Aussi, en dépit du caractère non opposable des droits fondamentaux, leur mention ne figure pas uniquement pour l’amour de l’art dans notre Constitution. Elle est le rappel de l’essentialité de ces droits. Leur affirmation constitue un appel à mettre en place des politiques publiques et permet fonder des prestations de l’Etat.

La crise alimentaire suscitée et accentuée par le Covid a généré le besoin de consacrer le droit à une alimentation adéquate. C’est ce qui nous est proposé par ce projet de loi qui estime nécessaire de mettre un focus particulier sur un besoin, certes couvert par le droit à un revenu suffisant prévu à l’article 39 prévoyant le droit droit à un niveau de vie suffisant, mais noyé dans les divers aspects constitutifs de cette nécessité de couvrir les besoins vitaux des personnes en difficulté. Il faut relever que l’article 39, derrière lequel s’est caché la droite bien-pensante pour refuser un droit constitutionnel à l’alimentation, ne concerne que les personnes entrant dans le champ de l’aide sociale. Il n’étend pas sa protection à celles et ceux qui, bien plus nombreux, se trouvent à sa lisière, et sont – notamment en raison d’effets de seuil – particulièrement démuni.es ou aux personnes de conditions modestes : cibles privilégiées de la « malbouffe ».

Affirmer le droit à une alimentation adéquate, la nécessité d’être mis à l’abri de la faim peut paraitre incongru dans nos contrées au XXI siècle, et pourtant…. La réalité est venue bousculer nos certitudes, notre illusoire sentiment de sécurité. 

Après la crise Covid, la détérioration du pouvoir d’achat consécutif aux multiples facettes de la crise économique, politique, écologique et sociale que nous connaissons actuellement fait déjà sentir ses effets et va affecter durement les budgets de ménages. Dès lors mettre à l’abri de la faim, comme le revendique le projet de loi 12811, ou garantir le droit à une alimentation insuffisant et inappropriée est un impératif auquel nous ne devons pas nous soustraire.

Cette garantie doit être assurée à chacun.e, sans restriction d’origine ou de statut ; n’en déplaise aux député.es UDC et MCG qui ont tenté de restreindre ce droit aux résident.es. Les droits fondamentaux, l’humanité, la générosité, ne se chipotent pas. Il ne se prêtent pas à la ségrégation ! Une forte majorité a accepté ce projet de loi. C’est un premier pas ! Maintenant nous attendons de cette dernière que ce signal soit mis en cohérence avec des mesures concrètes pour agir sur les causes de la pauvreté et de la « malbouffe ».

Jocelyn Haller