Les effets sociaux de la pandémie touchent de façon brutale de large secteurs du travail informel, précaire, ubérisé, qui ont explosé ces dernières années en Europe et aux États-Unis, provoquant les premières poussées de révolte dans les régions les plus pauvres touchées par COVID-19.

En Italie du Sud, les gens ne chantent plus sur les balcons. Beaucoup de familles confinées à domicile ne reçoivent aucun salaire ni aide matérielle. Les plus de 4 millions de travailleurs du secteur informel et les petits commerçants n’ont plus les moyens de se nourrir. « Nous n’en sommes pas encore à des manifestations de masse, mais des affrontements commencent à se faire jour et disent toutes la même chose » (Huffingtonpost.it). Des vidéos circulent sur les réseaux sociaux qui appellent à la révolte. Ici trois personnes s’en prennent aux vigiles d’une banque de Bari : « Nous somme sans nourriture et sans argent. Ils ont fermé mon magasin depuis vingt jours… Comment faire pour vivre ? ». Là, un père lance : « Si ma fille ne peut plus manger un morceau de pain, nous irons à l’assaut des supermarchés ».  L’enseigne Lidl de Palerme a été prise d’assaut par une vingtaine de familles ; la police et les carabiniers sont intervenus au moment où les chariots étaient remplis et que les gens essayaient de s’en aller sans payer. 

Au Royaume-Uni, la problématique est la même pour les millions de petits jobs précaires sous-payés, dont les employés ont été empêchés de travailler du jour au lendemain et qui ne peuvent plus joindre les deux bouts. Selon The Guardian du 21 marsles millions de travailleurs mal payés et sans contrats de durée indéterminée n’ont pas grand-chose à attendre du dernier paquet gouvernemental de mesures d’urgence. L’aide annoncée pour cette catégorie de personnes est fixée à 94.25 £ par semaine (110 CHF au taux de change actuel), ce qui ne permet absolument pas de vivre. En mars, 500 000 emplois ont été supprimés dans l’hôtellerie et la restauration et, aussi misérables soient-elles, les aides gouvernementales sont tombées trop tard pour répondre à une partie de leurs besoins immédiats.

Aux États-Unis, 3,3 millions de travailleurs pointent déjà au chômage, et ce sont 15 à 20 millions de pertes d’emplois qui sont attendues dans les prochaines semaines, avec un taux de chômage qui devrait dépasser 10% en avril. À terme, si la crise s’aggrave fortement, 40 à 50 millions de salarié·e·s qui ont une relation forte avec le public risquent de perdre leur travail. Dans de telles conditions, que vont devenir les 50 millions de travailleurs américains dont le salaire horaire médian est de 10,22 dollars, soit 18 000 dollars par an ? De surcroît, un quart des familles concernées dépendent d’un seul emploi rémunéré.

Face à la crise en cours, ces quelques exemples montrent à quel point les politiques néolibérales ont fragilisé de larges secteurs du salariat, totalement livrés à eux-mêmes. Ce sont eux qui paient le prix le plus lourd pour la pandémie en cours, d’abord parce qu’ils sont souvent contraints de continuer à travailler en acceptant n’importe quel emploi de remplacement, sans protection efficace face au virus. Ensuite, parce qu’aucun gouvernement n’envisage sérieusement de leur venir en aide, alors que des programmes massifs de soutien aux entreprises sont votés en Europe et aux États-Unis ces derniers jours.

Jean Batou