Une nouveauté débarque sur le site d’Ensemble à Gauche: un espace débat. Suite à la parution d’un article au sujet de l’accord ASLOCA-Etat-bailleurs sur les loyers commerciaux, nous avons été sollicités par un camarade du PS qui ne partageait pas le point de vue d’Ensemble à Gauche et désirait exposer ses arguments. Vous trouverez donc le débat sur cette question ci-dessous. L’article sur le combat que nous avons mené au Grand Conseil lors de sa session de mai à ce sujet peut être consulté en cliquant ici.

Un bon accord


par Christian Dandrès, conseiller national PS et juriste ASLOCA

On ne peut pas répondre à un problème concret – ne pas pouvoir payer son loyer et être menacé de congé – en se limitant à proclamer un principe, aussi fondé soit-il : empêcher la spéculation dont les bailleurs profitent. Dans la grave crise due à la pandémie, il faut des solutions rapides et efficaces pour les locataires en difficulté. Ces solutions apportées et les locataires en détresse hors de danger, l’ASLOCA fera le bilan de l’attitude des bailleurs durant la crise et proposera des initiatives.

L’ASLOCA a immédiatement réagi aux mesures COVID-19 du Conseil fédéral et interpellé le Conseil d’Etat pour obtenir un soutien pour les locataires d’habitation et de locaux commerciaux ainsi que le gel des évacuations. Le Conseil d’Etat a accepté de suspendre les évacuations – jusqu’au 31 mai – et ouvert des négociations pour les locataires commerciaux qui ont abouti à l’accord avec l’Etat et l’USPI-CGI. L’ASLOCA a proposé une feuille de route pour sauver les logements. Le Conseil d’Etat a refusé d’entrer en matière.

Le droit du bail n’est pas une fiction, mais la coagulation d’un rapport de forces. Les locataires y sont soumis. Ce droit permet au bailleur de résilier le bail du locataire qui aurait ne serait-ce qu’une échéance de retard, après l’avoir mis en demeure. Si le locataire ne paye pas dans ce délai (30 jours prolongés pour les loyers dus entre le 15 mars et le 31 mai), le bail peut être résilié. Le locataire n’a aucun moyen d’obtenir, sans l’aval du bailleur, la remise en vigueur du contrat.

La question des loyers est une compétence fédérale. Les cantons ne peuvent pas imposer à un bailleur de renoncer à tout ou partie du loyer. Une solution cantonale ne peut donc reposer que sur l’accord de ce dernier. L’accord conclu par l’ASLOCA permet au locataire de ne pas payer son loyer et de tenter de convaincre le bailleur de l’accepter. Pour ce faire, l’accord lui permet d’obtenir la compensation de sa perte par l’Etat, plafonnée à 50% du loyer. L’accord genevois va plus loin que ceux conclus dans d’autres cantons.  Le locataire peut être exonéré de tout son loyer, alors qu’ailleurs il doit en payer au moins le tiers, voire 40% selon la motion acceptée jeudi par le Conseil national.

L’accord genevois a d’ores et déjà permis de sauver la mise de plus de 3’000 locataires, des petits artisans et commerçants. La force de l’ASLOCA réside précisément dans sa capacité à répondre concrètement aux problèmes des locataires. Une fois les locataires hors de danger, l’ASLOCA fera le bilan de cette période et en tirera les conséquences politiques qui s’imposent, notamment par des initiatives.

Elle pourra sans doute compter en priorité sur le soutien des salarié-locataires ainsi que sur les locataires artisans et commerçants qu’elle aura pu appuyer concrètement. Dans cette démarche, elle est certaine qu’elle recevra l’appui des diverses forces sociales et politiques progressistes, y compris d’Ensemble à gauche ou de la formation qui lui succèdera.

Un accord discutable


par Pierre Bayenet, député au Grand Conseil EàG et avocat

Les locataires et l’ASLOCA pourront toujours compter sur le soutien d’Ensemble à Gauche. Une divergence tactique est toutefois apparue dans le cadre de la gestion des conséquences du COVID-19 sur les locataires : Ensemble à Gauche estime qu’il aurait été judicieux d’exiger un accord global qui protège les locataires de locaux commerciaux et de logements, et de ne pas séparer les deux questions. De son côté, l’ASLOCA, soutenue par le PS, a conclu un accord tripartite qui ne protège que les bailleurs et locataires de locaux commerciaux.

Ensemble à Gauche ne fait pas de procès d’intention à l’ASLOCA : nous savons parfaitement qu’elle veut protéger tant les locataires de baux commerciaux que de logements. Nous estimons toutefois qu’elle a fait un choix tactique extrêmement dangereux, en concluant un accord qui ne protège que les locataires de locaux commerciaux, sans avoir aucune garantie qu’un accord similaire puisse être trouvé pour les locataires de logements.

Il nous semble évident que si la droite avait intérêt à accepter l’accord sur les baux commerciaux, elle n’a pas intérêts à accepter un accord sur les logements. Dès lors, la seule manière de défendre les locataires de logements aurait été de conclure un accord global qui aurait couvert les deux situations. Résultat : aujourd’hui, aucune aide spécifique n’a été mise en place pour soutenir a posteriori les locataires qui auraient eu des difficultés à payer leur loyer en raison d’une perte de revenu liée au COVID-19.

Enfin, Ensemble à Gauche estime qu’une autre critique de l’accord genevois s’impose : l’Assemblée fédérale a estimé (motion 20.3460) que les propriétaires de locaux commerciaux devaient accorder aux locataires une réduction de loyer de 60% pendant les périodes de fermeture obligatoire. De fait, en offrant aux bailleur la possibilité d’obtenir de l’Etat le remboursement de 50% du loyer, les propriétaires genevois seront mieux servis que les confédérés…