Le silence du Conseil fédéral au sujet des développements politiques en Turquie n’est plus admissible. Fin mars, 36 élu-e-s fédéraux-ales s’inquiétaient, dans une lettre adressée au Président de la Confédération, des violations répétées des droits humains dans ce pays. La réponse de Guy Parmelin n’étant pas satisfaisante, des élu-e-s ont retrouvé face au Palais fédéral ce mardi des militant-e-s et ex-élus du HDP, le parti d’opposition pro-kurde, afin de réitérer leurs revendications. Face aux violations évidentes des droits humains en Turquie, la Suisse ne peut plus rester muette. Elle doit réclamer sans délai la libération de tous-tes les prisonniers politiques, la fin de tous les procès politiques, la fin de la procédure visant à interdire le HDP et le retour sur la décision de quitter la Convention d’Istanbul.

Les conseillers-ères nationaux-ales Stefanie Prezioso (EàG), Nicolas Walder (Les Vert-e-s), Laurence Fehlmann Rielle (PS), Balthasar Glättli (Les Vert-e-s), Mustafa Atici (PS), Christine Badertscher (Les Vert-e-s), Claudia Friedl (PS), Katharina Prelicz-Huber (Les Vert-e-s) et Christian Dandrès (PS) ont rencontré des militant-e-s et des ex-élus du HDP, notamment Firat Anli, ancien maire de Diyarbakır, et Nejdet Atalay, ancien maire de Batman. Ces deux anciens élus ont passé respectivement 4 et 5 ans en prison dans le cadre de l’oppression orchestrée par le pouvoir de Recep Tayyip Erdogan et, suite à leur libération, ont dû se résoudre à l’exil. Avant la rencontre, un échange constructif en petit comité a pu avoir lieu avec les ex-élus du HDP. Une collaboration plus étroite est désormais entérinée afin de défendre le respect des droits humains par la Turquie.

Le Conseil fédéral se défile face à des revendications très raisonnables
Les mesures réclamées dans la lettre des élu-e-s sont plus que raisonnables. Le Président de la Confédération y est prié de réclamer à son homologue turc, le Président Erdogan, qu’il libère les prisonniers politiques et les prisonniers de conscience ainsi qu’il revienne sur la décision du pays de se retirer de la Convention d’Istanbul. En l’absence de garanties de la part de la Turquie de respecter les engagements qu’elle a pris en ratifiant la Convention européenne des droits de l’Homme, les 36 élu-e-s fédéraux-ales prient le Conseil fédéral de surseoir à la ratification du nouvel accord de libre-échange entre la Suisse et la Turquie.

La réponse de Guy Parmelin à la lettre des élu-e-s fédéraux-ales opère un arbitrage questionnable en privilégiant les relations économiques entre la Suisse et la Turquie au détriment de l’exigence d’un respect des droits humains, sociaux et démocratiques dans ce pays. Le Président de la Confédération y indique que la Suisse ferait d’ores et déjà ce qui est en son pouvoir afin d’y défendre les droits humains et que les mesures réclamées par les 36 élu-e-s ne sont pas opportunes.

Une situation politique alarmante
Les développements politiques en Turquie sous le régime autoritaire d’Erdogan sont pourtant extrêmement préoccupants. Parlementaires, député-e-s et élu-e-s locaux du HDP font face à une violence politique accrue, tabassages, fouilles corporelles, arrestations arbitraires et emprisonnements pour de nombreuses années… Depuis 2015, ce sont plus de 10’000 membres du HDP qui ont été arrêté-e-s. Si certain-e-s sont aujourd’hui libéré-e-s, quelques 4000 d’entre eux/elles, y compris des élu-e-s, sont encore en prison. Le HDP est pourtant un parti légal et représentatif, qui a obtenu plus de 11% des suffrages lors des dernières élections nationales. Le procès dit de Kobané, qui se tient en ce moment à Ankara sous les auspices d’une justice au service du président Erdogan, est représentatif de cette situation. Plusieurs-e-s élu-e-s et membres du HDP sont actuellement poursuivi-e-s dans le cadre de ce procès pour l’organisation d’une manifestation en soutien à la Ville de Kobané en 2014.Entamé à Ankara le 26 avril dernier, une deuxième audience a eu lieu le 18 mai et d’autres se tiendront dans les jours et semaines à venir. Enfin, une tentative d’interdiction pure et simple du HDP est actuellement en cours. Un procureur a saisi dans ce sens la Cour Constitutionnelle de Turquie et doit compléter son acte d’accusation avant que les juges ne se prononcent.

Cette offensive s’inscrit dans un climat politique de montée de l’autoritarisme, qui en Turquie n’a cessé de s’accélérer depuis ce qui est considéré par le président Erdogan comme la tentative manquée de coup d’État d’une fraction de l’armée en juillet 2016. Les violences à la fois étatiques et extra-étatiques se sont multipliées ces dernières années contre toute forme d’opposition, en particulier les organisations kurdes, tandis que plus de 150 000 fonctionnaires ont été suspendus ou radiés de leurs fonctions. Toutes ces violations des droits humains en Turquie s’inscrivent dans une longue série d’offensives répressives contre le HDP et le mouvement national kurde, mais aussi contre l’ensemble des institutions et acteurs-trices qui luttent pour la démocratie et les droits humains en Turquie.

Il est plus que jamais temps de réagir. La Suisse ne peut plus fermer les yeux.