Monsieur le lauréat du Prix Sean MacBride 2017,
Madame la Secrétaire générale de la Confédération Internationale des Syndicats,
Madame et Monsieur les Co-présidents du Bureau International de la Paix,
Mesdames et Messieurs, Chers Amies, Chers Amis,

C’est un plaisir et un honneur de vous accueillir tous ici à Genève, pour la remise du prix Sean MacBride à Jeremy Corbyn, que je salue fraternellement et que je remercie pour sa présence dans nos murs…
Ce prix est attribué par le Bureau international de la Paix à une personnalité distinguée pour son engagement au service de la paix, du désarmement et des droits humains.
Mais rappelons peut-être au passage qui était Sean MacBride, qui a présidé le Bureau International pour la Paix durant les années 70… Ce fut un irlandais exilé d’abord, fils d’une grande figure féministe et nationaliste irlandaise Maud Gonne. Son père John MacBride, qui s’est battu en animant une brigade irlandaise contre les forces impériales britanniques en Afrique du Sud lors de la guerre des Boers et a été exécuté par les Anglais pour sa participation au soulèvement irlandais de Pâques 1916 à Dublin, alors que son fils Sean MacBride avait 12 ans seulement, Sean MacBride a passé son enfance à Paris, il est rentré en Irlande à 15 ans et s’est engagé dans la lutte armée pour l’indépendance de la République irlandaise… il a connu la prison, l’évasion, la clandestinité … En 1927, il rencontre Ho Chi Minh et Nehru lors d’un congrès antiimpérialiste… En 1936, il renonce à son poste de chef d’Etat major de l’IRA clandestine et à la lutte armée pour la réunification de l’Irlande. Il débute alors une carrière d’avocat en 1937, se spécialisant dans la défense des prisonniers politiques, républicains irlandais d’abord, puis des prisonniers en général. Suite à la création après-guerre d’un nouveau parti à gauche de l’échiquier politique irlandais il servira le poste de Ministre irlandais des Affaires étrangères… Il participe à la rédaction de la Convention européenne des droits de l’homme en 1950 et à la fondation d’Amnesty international au début des années 1960… Il sera Prix Nobel de la Paix en 1974… La liste de ses engagements anticoloniaux et pour la Paix et la justice sociale est trop longue pour être même survolée ici.

Le 1er janvier 1987, lors d’un passage à Genève, un an seulement avant sa mort, Sean McBride donnait une interview à la RTS (qu’on peut écouter encore sur leur site Internet). Il y disait notamment que, tout pacifiste qu’il était, il aurait pris les armes contre le régime intolérable d’Apartheid en Afrique du Sud s’il avait été Africain… Mais il y lançait, aussi et surtout, un appel vibrant pour l’abolition de l’arme ment nucléaire, dont les accidents qui venaient de se produire à Three Mile Island et Tchernobyl, disait-il, démontraient encore s’il en était besoin la nécessité, pour la survie de l’humanité… Il faut dire que, moins d’un mois avant cette interview, soit le 7 décembre 1986, les citoyennes et citoyens genevois, par un vote populaire majoritaire, avaient tiré les conséquences, eux aussi, de Three Mile Island et de Tchernobyl et ancraient dans la constitution de la République et Canton de Genève leur refus d’installations atomiques quelconques (centrales, usines de retraitement, dépôts de déchets) sur notre territoire en affirmant aussi une volonté imposée aux autorités de combattre toutes installations de ce type ici et à l’étranger… Ainsi, cher Jeremy Corbyn, vice-président de la Campagne pour le désarmement nucléaire (CND) britannique, vous recevez ce prix Sean MacBride sur un sol genevois qui est politiquement et matériellement «dénucléarisé» par la volonté du peuple…

C’est très approprié puisque ce prix s’inscrit dans la foulée de l’attribution du Nobel de la Paix 2017 à la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN), basée à Genève, campagne menée par une coalition mondiale d’ONGs, (dont la Campagne pour le désarmement nucléaire CND) présentes dans 100 pays, qui a poussé à l’adoption d’un traité historique d’interdiction de l’arme atomique, négocié et voté par 122 pays en juillet de cette année, en l’absence et contre le gré des 9 puissances nucléaires. A ce sujet, et au passage, je regrette que le secrétariat de l’ICAN soit trop peu soutenu par Genève, sachant que cette organisation a dû, l’an dernier, licencier la moitié de son personnel travaillant à Genève et qu’elle ne trouve toujours pas de locaux dans notre cité alors qu’elle risque de se retrouver à la rue dans quelques mois, faute de moyens financiers.

Je déplore aussi que la Suisse n’ait toujours ni signé, ni ratifié le traité en question. Cela doit être un objet de campagne pour nous toutes et tous !

Mais, parmi les 9 puissances nucléaires qui n’ont même pas participé à la discussion de ce traité, il y a la Grande-Bretagne… Or nous avons l’honneur d’avoir dans cette salle, j’en suis persuadé, le prochain chef du gouvernement britannique… Parce qu’en Grande Bretagne, l’austérité néolibérale imposée apparaît chaque jour plus clairement comme une machine de guerre contre la population. Face à ses effets évidents et au mécontentement qu’elle suscite, le gouvernement May, se délite. Chancelante et otage d’un groupe d’ultraréactionnaires nord-irlandais, qui défendent becs et ongles une frontière de partition coloniale au risque de remise en cause de l’Accord de Paix pour l’Irlande du Nord de 1998, elle semble hors d’Etat de gouverner longtemps…

Ainsi la gauche a le vent en poupe en Grande-Bretagne et des défis majeurs à relever – comme nous en avons ici nous aussi – si elle veut impulser un réel changement de cap contre l’austérité et arrêter le rouleau compresseur néolibéral. Et il doit être arrêté. Il est mortel… littéralement! Un exemple a retenu mon attention et le met en évidence. Le 15 novembre le quotidien britannique The Independent évoquait une étude menée par des chercheurs des universités d’Oxford, de Cambridge et de l’University College de Londres. Ils ont analysé l’inflexion marquée des courbes de mortalité en Angleterre liées à la mise en œuvre des politiques d’austérité par les gouvernements conservateurs britanniques après la crise financière. Selon l’étude, basée sur une analyse détaillée des données statistiques nationales, de 2010 à 2017 la surmortalité en lien avec la politique d’austérité et de coupes budgétaires dans le secteur de la santé et du social, se serait traduite par 120’000 morts supplémentaires en Angleterre, en particulier chez les plus de 60 ans et les personnes prises en charge dans des établissements médicaux sociaux.

L’étude évoque notamment les coupes dans le nombre de postes du personnel infirmier comme étant un des facteurs explicatifs important de ces décès. Pour la période de 2015 à 2020 ce sont 150 000 morts supplémentaires, soit 100 par jour, que prédit l’étude ! L’un de ses co-auteurs le professeur Lawrence King, de l’Unité de recherche en santé appliquée de Cambridge, déclarait ceci:

« Il est désormais très clair que l’austérité ne promeut pas la croissance ou la réduction des déficits, c’est de la mauvaise politique économique, mais elle reflète bien une politique de classe… Notre étude montre que c’est aussi un véritable désastre en matière de santé publique. Ce n’est pas une exagération de parler de meurtre économique de masse »

Et en effet, les chiffres de mortalité mis en évidence par ces études correspondent en terme d’ordre de grandeur aux effets des deux bombes atomiques de Hiroshima et de Nagasaki… Sauf que ce n’est pas ici un acte de guerre d’un gouvernement étranger, qui dévaste la Grande-Bretagne… c’est un acte de guerre des classes que le gouvernement britannique mène contre la majorité de sa propre population au nom des super-riches… Mais aujourd’hui, en Angleterre, ça ce sait, ça se voit, ça se dit… Et nous espérons qu’il y sera mis un terme par votre action, Monsieur Corbyn et l’engagement d’un élan et d’un mouvement populaire pour la soutenir dans ce sens.

Pendant ce temps, du côté de l’arme nucléaire, la droite avec l’appui malheureusement d’un secteur du parti travailliste, entend préserver entre les mains de l’Etat britannique les moyens impérialiste d’un génocide planétaire, ceci par le renouvellement du programme de grands sous-marins nucléaires lance-missiles atomiques Trident. L’un d’eux au moins est en patrouille en tous temps avec une puissance de feu d’une quarantaine d’ogives atomiques capables de frappes dans le monde entier. L’enjeu de ce changement de politique que nous espérons serait – aussi -de renoncer a un programme d’investissement dans l’arme atomique de plus de 205 milliards de livres sterling, selon la présidente de la Campagne pour le désarmement nucléaire (CND), des montants soustraits donc aux programmes d’investissement et de fonctionnement indispensable dans le logement, la formation, la santé les services sociaux…bref dans la satisfaction des droit sociaux et économiques de la majorité du peuple britannique.

Comment se résoudra cette contradiction ? La Grande-Bretagne de Jeremy Corbyn sera-t-elle la première puissance nucléaire à signer le traité d’interdiction des armes atomiques, à renoncer à son arsenal nucléaire ? Nous le souhaitons de tout cœur, pour les peuples britanniques, pour la survie de l’humanité… et pour notre hôte de ce soir que nous soutenons de tout cœur sur ce chemin ! Ainsi et vous l’avez compris je suis particulièrement heureux que le Prix de la paix Sean MacBride revienne cette année à Monsieur Jeremy Corbyn. Vous avez accompli un travail remarquable pour la paix, pour le désarmement et les droits humains je vous en remercie.

Au nom de la Ville de Genève, je tiens, cher Monsieur, à vous en féliciter très chaleureusement.

Votre combativité, votre force de conviction qui vous font vous opposer depuis 40 ans à la violence et aux guerres, de celle du Vietnam à celle d’Irak, ou avec la coalition « Stop the War » que vous avez contribué à créer, font de vous un ardent défenseur de la cause de la paix, du désarmement et des droits humains. Le discours authentique qui a toujours été le vôtre pendant toutes ces années – altermondialiste, pacifiste, antinucléaire, féministe – est  déterminant dans un contexte mondial qui est devenu, comme on le sait, particulièrement inégalitaire!

Étant moi-même issu du mouvement syndical, et situé du même côté que vous sur l’échiquier politique, vous me permettrez de joindre à ces félicitations l’expression de mes sentiments de solidarité, d’estime et d’amitié.

Je vous remercie de votre attention.

Rémy Pagani – Maire de Genève / 8.12.2017