Une majorité du (PS, Verts, PDC et MCG) a accepté le rapport de gestion du Conseil d’Etat pour l’année 2020. Pourtant, le gouvernement a fait preuve d’un immobilisme effrayant face à la crise sociale et a résolument tourné le dos aux travailleurs-euses durant cette année de crise. De surcroit, aucun enseignement n’a été tiré d’une crise qui a illustré l’importance de renforcer massivement les services publics et de mener une politique environnementale bien plus ambitieuse.

Force est de constater que le Canton de Genève a affronté la pandémie dans une situation d’impréparation quasi-totale. Il serait absurde de remettre l’entière responsabilité de cette situation sur les épaules du Conseil d’Etat actuel, elle provient de choix politiques dont beaucoup ont été faits en amont ainsi que de la Confédération. Ainsi, il était sidérant de voir que le Genève – comme le reste de la Suisse – a dû faire face à une pénurie du matériel de première nécessité pour faire face à ce genre de crise, à commencer par les masques, le gel hydro-alcoolique et les tests.

Plusieurs voix s’étaient pourtant élevées ces dernières années pour avertir du risque grandissant d’une pandémie causée par un agent pathogène des voix respiratoires. Ainsi, en septembre 2019, une équipe de chercheurs du John Hopkins Center for Health Security publiait un rapport, à la demande de l’OMS. Celui-ci concluait qu’un tel agent pathogène pourrait toucher très rapidement de nombreux pays simultanément et qu’ils seraient alors confrontés à une pénurie de moyens matériels pour y faire face : respirateurs, masques, etc.

Aux HUG, les années de politiques de compressions budgétaires ont causé une réduction du nombre de lits par habitant et donc un affaiblissement net de la capacité à faire face à une pandémie pour les HUG. L’hôpital est en effet conçu pour fonctionner à flux tendu en période « normale » et repose sur l’utilisation massive d’intérimaires pour faire face aux urgences conjoncturelles. Dès lors, la santé publique du canton a essentiellement dépendu de la capacité du personnel soignant à faire face à la hausse vertigineuse des hospitalisations dues au SARS-CoV-2. Les infirmières-ers ont été appelé-e-s à augmenter la semaine de travail, certain-e-s ont été transférée-e-s en soins intermédiaires après une formation de trois jours au lieu de trois semaines. Il faut rendre hommage à ces personnes qui ont permis au canton de tenir le choc, bien que les HUG soient passés très proche de la saturation en automne.

De son côté, le Conseil d’Etat a fait preuve d’une irresponsabilité affligeante lorsque, en pleine deuxième vague, il a annoncé sa volonté de réduire les salaires de la fonction publique, y compris ceux du personnel soignant ! Au sein du gouvernement, certains ont poussé le bouchon jusqu’à traiter de « privilégiés » celles et ceux qui se battaient jour et nuit contre la pandémie dans des conditions très dures. Fort heureusement, cette provocation du gouvernement a été balayée par le Grand Conseil puis abandonnée par le Conseil d’Etat. Il n’empêche que le signal catastrophique envoyé par les autorités a sapé le moral des salariés de l’hôpital déjà mis-e-s à rude épreuve par la pandémie.

Plus largement, cet acharnement contre la fonction publique illustre les choix dogmatiques du Conseil d’Etat, qui a maintenu le cap d’une politique de compression des charges à rebours de l’urgence sanitaire et sociale. Ainsi, rien ou presque n’a été fait en matière d’aides aux plus précaires qui avaient perdu leurs revenus et se retrouvaient entièrement démuni-e-s. En traînant des pieds, le Conseil d’Etat a proposé au parlement un timide projet de loi couvrant la première vague. Mais le texte est arrivé bien après le complément aux indemnisations fédérales pour les cadres d’entreprises ! Surtout, le Conseil d’Etat s’est montré incroyablement immobile depuis lors, laissant le soin au parlement de régler les urgences sociales les plus criantes à partir de l’automne 2020 ! Le magistrat en charge de la politique sociale est pourtant un membre du PS qui avait fait de la lutte contre la précarité et la pauvreté un élément central de sa campagne…

Parallèlement, le gouvernement a martelé sa ferme intention de ne pas demander d’effort solidaire aux plus riches et aux grandes entreprises qui n’ont pas été touchées par la crise. Les propositions faites par Ensemble à Gauche pour un prélèvement extraordinaire de solidarité des grosses fortunes ont été balayées. Le Conseil d’Etat a même proposé de baisser l’imposition de la fortune ! Il a également poursuivi la mise en œuvre de la RFFA en 2021 alors que le coût de l’imputation partielle (25%) de l’impôt sur le bénéfice à l’impôt sur le capital, devrait coûter – selon les prévisions du département des finances – 147.1 millions à l’Etat ! C’est plus du double de ce qui avait été annoncé initialement (71.3 millions) … et presque trois fois plus que le montant économie par le non-versement de l’annuité (55 millions) ! En gelant provisoirement la mise en œuvre de la RFFA, le Conseil d’Etat aurait pu financer les aides aux entreprises qui souffrent de la crise. Au lieu de cela, soutenu par une majorité du parlement – y compris le PS et les Verts – il a fait le choix de s’attaquer aux revenus des salarié-e-s, en pleine crise sociale et économique !

Depuis le début de la crise, le Conseil d’Etat a superbement ignoré les salarié-e-s. Ainsi, les contrôles sur les lieux de travail pour s’assurer que les mesures adéquates étaient prises contre la propagation du virus, ont été rares. A ma connaissance, aucun lieu de travail n’a été fermé temporairement, même lorsqu’il était manifeste que le SARS-CoV-2 y circulait activement. Surtout, le gouvernement a systématiquement refusé d’inclure une protection des salaires et de l’emploi dans les lois encadrant les aides financières aux entreprises. L’Etat a dépensé des millions sans exiger la moindre contrepartie en faveur des salarié-e-s.

Rappelons que Genève est le canton suisse le plus inégalitaire en termes de répartition de la richesse. Le canton se classe troisième – derrière Schwytz et Obwald – pour ce qui est de l’accroissement annuel de la fortune, avec une augmentation moyenne de 7.65% par an. Pourtant, l’impôt sur la fortune croît beaucoup plus faiblement (4.93% par an en moyenne) que la fortune elle-même. Il est donc clair, que les grosses fortunes échappent largement à l’impôt grâce aux privilèges fiscaux dont elles bénéficient. Selon les chiffres de l’AFC, datant de 2015, près de la moitié (46.75%) de la richesse du canton est détenue par des fortunes de 10 millions ou plus, et plus de 80% l’est par des fortunes d’au moins 1 million ! Le creusement vertigineux des inégalités a été massivement accéléré par la crise. D’autant plus, que, suite à une série de réformes fiscales, la répartition des richesses a reculé de 1.5 milliards par an, par rapport à la situation en 1990. Il est donc urgent de mettre en place une fiscalité plus redistributive, qui passe nécessairement par une hausse de l’imposition des grosses fortunes, des héritages, de la spéculation immobilière, mais aussi des très hauts revenus, à commencer par les dividendes.

Accroitre les revenus de l’Etat est non seulement nécessaire pour résorber le déficit (485 millions en 2020) mais aussi et surtout pour développer et étendre les services publics et les prestations à la population. Car les effets de la crise sociale ne disparaîtront pas avec le vaccin. Ainsi, non seulement le nombre de bénéficiaires de l’aide sociale a bondi depuis le début de la crise, mais l’Hospice général prévoit encore une hausse durant les prochaines années. Sans embauche supplémentaire, le nombre de dossiers par assistant-e social-e se situera à près de cent ! Une situation qui détériorera nécessairement le travail de suivi et donc de réinsertion.

Le déficit ne doit pas être pris comme prétexte pour rogner sur les prestations ou les salaires. D’une part, parce que celui-ci n’est pas catastrophique, compte tenu de la conjoncture très particulière de 2020. Mais surtout, parce que l’Etat peut se donner les moyens d’une politique bien plus ambitieuse. Par ailleurs, il est frappant de constater à quel point le l’ultralibéralisme prôné par la droite est coûteux pour la collectivité publique: les assurances maladie coûtent plus de 600 millions à l’Etat en 2020. En effet, les subsides d’assurances maladie coûtent 523 millions, auxquels il faut ajouter la couverture des créances des assureurs pour les primes non payées pour un montant de 65 millions. De surcroît, les assurances n’ont pas dépensé le moindre centime pour résorber le déficit des HUG lié au SARS-CoV-2 qui s’élevait à 169.5 millions. Pourtant, elles ont prélevé d’importantes primes et ont réalisées des économies substantielles grâce au report de nombreux soins hospitaliers. En définitive, si la droite cessait de défendre inconditionnellement les intérêts de ces organisations sous la coupole fédérale et qu’un système d’assurance maladie publique avec des primes proportionnelles aux revenus était mis en place, l’Etat n’aurait pas présenté de déficit en 2020 !

Pour finir, force est de constater que la politique du Conseil d’Etat a été particulièrement peu ambitieuse sur le front environnemental. La crise actuelle ne doit pourtant pas reléguer ce sujet au second plan, bien au contraire. La déforestation, l’augmentation exponentielle du transport aérien ou le réchauffement climatique sont autant de facteurs favorisant l’apparition et la dissémination de nouvelles pandémies.

Jean Burgermeister