Lors de la dernière session du Grand conseil, elles ont fait voter une modification perfide de la loi pénale genevoise. Ne pouvant – en vertu d’un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme – continuer à interdire la mendicité dans notre canton, la majorité droitière du Grand conseil l’a tout simplement rendue, par un pitoyable tour de passe-passe, impossible à exercer. Elles ont introduit dans la loi un article énonçant une vaste liste indiquant les lieux où l’exercice de la mendicité est interdit : de fait, tous les lieux où elle peut encore avoir un sens. Comble de l’ironie, un membre du groupe du Centre (ex-PDC), y a même rajouté les lieux cultuels : ce qui veut dire qu’il ne sera même plus possible de mendier devant les églises ! Décidément la charité chrétienne n’est plus ce qu’elle était !

La cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) conclue au §59 de son récent arrêt qui contraint Genève à revoir sa législation relative à l’interdiction de la mendicité qu’elle considère « que le droit de s’adresser à autrui pour en obtenir de l’aide, relève de l’essence même des droits protégés par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme ».

Le droit de mendier est un droit fondamental, mais le droit de ne pas avoir à mendier l’est encore plus. À défaut de ne pouvoir garantir à tout individu une protection qui lui épargne le risque de devoir mendier. Il nous faut à tout le moins régir la question de la mendicité. 

Pierre Bayanet, pour le groupe EàG a déposé un projet de loi (PL 12862) pour requérir une mise en conformité du droit genevois avec l’arrêt de la CEDH qui considérait que notre arsenal juridique nous permettait déjà de lutter si nécessaire contre les formes dévoyées d’exercice de la mendicité, telles les sollicitations abusives ou la traite des êtres humains.  Il demandait également l’amnistie de toutes les sanctions prononcées au nom de la loi actuelle.  Un député PLR, quant à lui, déposait un autre projet de loi (PL 12881) qui lui prétendait à une adaptation de la loi genevoise rendant l’exercice de la mendicité impossible. Il instituait une forme d’exclusion territoriale qui interdisait la mendicité dans toutes les zones où elle pouvait avoir un sens, à savoir : les zones commerciales, touristiques, aux abords des bâtiments publics, dans les gares, à moins de 50 mètres des arrêts de transports publics, à moins de 50 mètres des bancomats, banques, postes, etc… des amendements ont encore fâcheusement étendu cette liste. 

Les auteurs de ce texte fanfaronnent en prétendant que la mendicité dans notre canton n’est ainsi pas interdite. Ils se satisfont qu’elle peut, selon eux, sans entrave se développer en périphérie de tous ces lieux. C’est-à-dire, en réalité là où il n’y a personne auprès de qui solliciter la charité. La manœuvre est grossière, mais elle a été cyniquement cautionnée par une majorité du Grand conseil. Il n’y a là rien d’autre qu’une forme d’hypocrisie pendable qui rend la mendicité impossible tout en feignant de se conformer à l’arrêt de la CEDH.  Cette majorité a même eu l’impudence de confirmer son rejet des mendiants Roms – car ce sont eux les cibles principales du projet de loi PLR – en demandant la clause d’urgence, comme s’il y avait en l’occurrence péril en la demeure. Là au moins ils ont été déboutés à défaut de pouvoir réunir une majorité des deux tiers pour ce faire. 

Lors des débats, la Droite et ses acolytes n’ont eu de cesse de criminaliser les mendiant.e.s. Ils les ont, sans aucune vergogne accusé·e·s de tous les maux par des généralisations outrancières, avec une mauvaise foi débridée.

Le projet de loi d’EàG, frappé au coin du bon sens et empreint d’humanité, a été rejeté au profit du projet de loi 12881, qui au sortir des travaux de commission et de la plénière n’est pas plus conforme à l’arrêt de la CEDH qu’il ne l’était dans sa forme d’origine. Celui-ci aura pour conséquence d’infliger à nouveau de manière systématique des sanctions lourdes à des mendiants, pour le seul fait d’avoir mendié au centre-ville, sans égard à leur vulnérabilité, à la nature de leur mendicité, au fait qu’ils ne soient ni agressifs ni intrusifs. Finalement, les mendiants se trouveront emprisonnés pour la seule raison qu’ils auront mendié. Or, c’est là précisément ce que la CEDH a reproché à Genève et à la Suisse.

Alors, un nouveau recours contre cette loi sera nécessaire pour démontrer non seulement son iniquité, mais sa non-conformité avec l’arrêt de la CEDH. L’association Mesemrom s’est déjà déclarée prête à interjeter un recours contre ces nouvelles dispositions relatives à l’interdiction de mendier. Nous la soutiendrons et continuerons à nous battre contre la criminalisation de la pauvreté.

 Haller Jocelyne