La version finale de la troisième révision de l’imposition des entreprises, proposées par le Conseil fédéral et les Chambres sous le nom de RFFA, ainsi que les différentes versions cantonales de ces réformes, doivent être profondément amendées aujourd’hui, le plus rapidement possible, pour faire face à deux changements majeurs de la situation internationale. Ensemble à Gauche a déposé une motion à Berne dans ce sens.

Tout d’abord, la pandémie de Covid-19, qui a fait 3 millions de morts enregistrés dans le monde (sans doute sensiblement plus si l’on tient compte de l’enregistrement défectueux des causes de décès dans le Sud Global), impliquant des mesures de prévention sanitaire sans précédent avec une incidence majeure sur la société et l’économie planétaires. En 2020, le PIB mondial aurait reculé de 5,6%, ce qui représente la plus forte baisse depuis la Seconde Guerre mondiale.

Ensuite, le changement d’administration à la tête de la première économie mondiale se traduit un changement de politique fiscale, qu’illustre : a) la proposition faite par le président Joe Biden de relever l’imposition des bénéfices des entreprises de 21 à 28% sur 15 ans afin de financer un plan d’investissement de 2500 milliards de dollars sur 7 ans dans les infrastructures (rappelons qu’il s’agit de l’impôt fédéral, auquel il faut ajouter les impôts des États et des municipalités) ; b) la hausse décidée de l’imposition des sociétés et des hauts revenus dans l’État de New York ; c) l’appel de sa Secrétaire du Trésor, Janet Yellen, à tous les États du monde pour fixer un taux plancher d’imposition des bénéfices des entreprises de 21% à l’échelle mondiale ; d) la réponse immédiate favorable de la France et de l’Allemagne.

Il faut en effet noter que la principale justification de la baisse massive de la fiscalité des personnes morales introduite par la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE3, puis RFFA) était d’aligner les taux appliqués aux entreprises « à statut » – qui ont l’essentiel de leurs activités à l’étranger –, comme l’exigeait l’OCDE et l’U.E., sur ceux des autres sociétés.

Or, la nouvelle donne politique internationale devrait conduire à une hausse massive de l’imposition de nos anciennes sociétés « à statut », menacées de se voir taxées de façon compensatoire aux États-Unis et en Europe, alors que les autres entreprises suisses bénéficieraient seules des dispositions de la RFFA, ce qui contredirait les buts explicites de cette réforme. Sans compter que le maintien de taux d’imposition effectifs des bénéfices en Suisse de 13,9%, voire moins, représenterait un dumping fiscal massif par rapport à un plancher international à 21%, adopté par nos principaux partenaires économiques, exposant la Suisse à des représailles.

Sortir de la crise du budget de fonctionnement et financer un plan d’investissement social et écologique sur 15 ans

Pour les deux raisons précitées, nous pensons qu’il faut changer de cap au plus vite et relever le taux d’imposition des entreprises genevoises d’un tiers pour une durée de 15 ans, comme le propose le président US, en restant malgré cela 2,5 points en deçà de la proposition faite aux autres États du monde par le gouvernement états-unien.

Le surcroît de recettes ainsi obtenues serait affecté :

  • d’une part, à combler le manque à gagner, à l’horizon 2024, dû à la mise en œuvre de la RFFA en élevant le taux d’imposition de 13,9 à 16,7%;
  • d’autre part, à financer un plan extraordinaire de développement des infrastructures de l’ordre de 255 millions de francs par an sur 15 ans ciblant des finalités sociales et écologiques (logement social, structures d’accueil de la petite enfance, des personnes âgées et en situation de handicap, hôpitaux, soins à domicile, enseignement, culture, sports, isolation thermique des bâtiments, transports publics, aménagement cyclistes et piétonniers, arborisation, etc.), créateur aussi d’emplois locaux et de revenus supplémentaires pour notre canton et nos communes.

Souscrire à l’appel de Mme Janet Yellen, secrétaire au Trésor du gouvernement des États-Unis, en dégageant 3,1 milliards de plus pour l’AVS

La Suisse doit répondre favorablement à l’appel des États-Unis en relevant d’un tiers le taux d’imposition fédéral des bénéfices des entreprises, prévu à l’art. 68 LIPD, soit de 8,5% à 11,5%, et en fixant un taux cantonal plancher effectif de 9,5%, soit un total de 21% au minimum, les cantons demeurant bien sûr libres de d’appliquer des taux supérieurs.

La hausse de l’imposition fédérale de 2,5 points prévue à teneur de l’IFD devrait rapporter environ 3 milliards supplémentaires de façon pérenne aux caisses de la Confédération (chiffres de 2017), que notre motion propose d’affecter intégralement à l’AVS.

En effet, le niveau d’endettement actuel extrêmement faible de la Confédération permettrait de lancer un programme d’investissements national de grande envergure dans les infrastructure sociales et écologiques en recourant à l’emprunt. Ceci aurait l’avantage supplémentaire de réduire l’écart abyssal du taux d’endettement de la Suisse par rapport à celui des autres pays de l’OCDE qui s’est encore accru à la faveur de la crise actuelle, réduisant ainsi un peu la pression à la hausse sur le franc suisse.

Il est certes possible, et nous en nous en sommes pleinement conscients, que cette motion de bon sens ne soit pas soutenue par une majorité du Parlement actuel, dominé par une droite élargie totalement inféodée à la place financière. Si tel est le cas, la formation d’un large front de gauche et écologiste afin de transformer une telle motion en initiative populaire, donnant corps au véritable changement de cap social et écologique que bon nombre d’habitantes et d’habitants de notre pays appellent de leurs vœux, est souhaitable.