À Genève, l’initiative populaire cantonale « Énergie-Eau : notre affaire ! Respect de la volonté populaire » (IN 126) a été déposée début 2005 avec 12251 signatures citoyennes. La proposition visait à inscrire dans la constitution un monopole public en faveur des Services Industriels de Genève (SIG) en matière de distribution d’eau, d’électricité et de gaz. Aujourd’hui, le canton fait un pas de plus avec un monopole public sur les réseaux thermiques principaux, voté par le Grand Conseil à une majorité très large, avec le soutien d’EAG bien entendu…et malgré l’opposition du PLR. Les électeurs·trices, devront encore approuver le principe lors d’un prochain scrutin et l’inscrire ainsi dans la constitution. (PL 12895-A / PL 12896-A)

Un peu d’histoire énergétique et démocratique
L’IN 126 s’appuyait sur la victoire en 2002 du référendum fédéral contre la Loi sur le marché de l’électricité (LME) qui avait refusé de faire du marché électrique un champ de profits pour les multinationales et elle visait à préparer la manche suivante de ce combat contre la nouvelle loi néolibérale en la matière que mitonnaient les Chambres (LApEl)… et qui a abouti à libéraliser le marché électrique, mais pour les gros consommateurs seulement.

A la manœuvre, en ce qui concerne l’IN 126, il y avait déjà l’Alliance de Gauche (ADG) «précurseure» d’EAG, mais aussi ContrAtom, avec un fort engagement de notre collègue d’EAG Pierre Vanek, élu ADG à l’époque au Conseil national, mais aussi président de l’association antinucléaire susmentionnée.

In fine, après de nombreuses péripéties, dont le splitting eau/électricité de l’IN devenue IN126-1 et IN126-2, l’abandon du monopole du gaz et un long détour par le TF suite à un recours de milieux de droite visant l’invalidation de l’IN, c’est en décembre 2007 que les électeurs-trices genevois ont enfin pu se prononcer dans les urnes.

Ils·Elles ont alors suivi la gauche, les Verts, les syndicats et les associations antinucléaires et environnementales approuvant très massivement le double monopole public et démocratique des SIG sur l’Eau (OUI à 76%) et l’électricité (OUI à 59%) et l’inscrivant dans la Constitution genevoise. Une victoire significative contre le capitalisme néolibéral prédateur et déchaîné.

Des artères énergétiques indispensables
Mise sur le métier dès 2008 par la constituante, la nouvelle constitution genevoise, adoptée en 2012, a naturellement repris ces dispositions, ceci en son art. 168.

C’est ce même art. 168 de la Constitution genevoise qui s’est trouvé, une nouvelle fois sous le feu des projecteurs lors de la dernière session du parlement genevois début septembre 2021. Avec la proposition d’y inscrire comme monopole public une nouvelle tâche des SIG, celle de mettre en place et d’exploiter les nouveaux réseaux thermiques dits « structurants ».

Ceux-ci joueront en effet un rôle capital en matière de chauffage dans la nouvelle donne énergétique indispensable face à la crise climatique. Il s’agit de distribuer des énergies renouvelables (chaud/froid) puisées dans les eaux du Lac ou la géothermie pour en finir avec la situation d’un canton encore chauffé à 90% aux énergies fossiles

On a déjà un exemple en la matière avec le réseau Genève-Lac-Nations déployé depuis un certain temps et qui refroidit l’été le complexe anciennement de Serono et de nombreux bâtiments dans le secteur de l’ONU, fournissant de l’eau chaude en hiver pour protéger du froid les habitant·e·s des bâtiments de la parcelle dite de Sécheron (les immeubles verts le long de l’Av. de France) soit 300 logements construits par la Fondation de la Ville de Genève, un centre de quartier construit par la Ville et un EMS. Demain c’est tout le quartier de la Jonction qui pourra bénéficier de l’eau du Léman pour se chauffer l’hiver puis les Vernets et le secteur Praille-Acacias-Vernets comme l’hôpital…

Quatre milliards d’investissements publics…
Au total les réseaux « structurants » prévus représentent 4 milliards d’investissements d’ici 2030 pour construire 250 km de conduites qui seront de véritables « artères » énergétiques en Ville de Genève et dans les grandes communes de la périphérie urbaine… étant entendu que le réseau « secondaire » de distribution dans les immeubles restera du ressort du secteur privé.

Le débat a été marqué par un très large soutien à ce projet, la seule opposition venant d’un PLR peu en forme sur la question. Qu’on en juge : son porte-parole en la matière – le député Adrien Genecand – est venu dire combien « philosophiquement » l’idée de confier un monopole au SIG leur paraissait «problématique» et leur laissait «un goût amer».

Il a expliqué que leur caucus était revenu en arrière sur leur première idée de voter «quand même » le projet… pour le motif – a-t-il expliqué – que le PLR tenait à la …« protection des locataires » (sic !) et que les SIG pourraient profiter de leur situation de monopole dans ce domaine pour commettre des abus criants en matière de tarifs qui feraient porter la facture de la révolution énergétique sur les épaules des seuls locataires captifs et sacrifiés.

Un discours peu crédible évidemment de la part d’un PLR dont l’engagement historique en matière de protection des locataires est pour le moins ténu, leur penchant naturel étant de soutenir les propriétaires et les spéculateurs.

C’était d’autant peu crédible que les SIG sont soumis au contrôle de l’État en matière tarifaire et que divers mécanismes (dont une commission consultative ou les locataires sont représentés) sont prévus dans la loi d’application de cette modification constitutionnelle.

Une opposition peu convaincante et peu convaincue
Le PLR a ensuite concentré son énergie oppositionnelle un peu molachue sur le PL d’application en tentant de faire passer quatre amendements dont aucun n’a eu l’heur de convaincre en dehors du groupe PLR…

Dans un dernier sursaut, le PLR a donc voté NON, au final, à la loi d’application modifiant la loi sur l’énergie… Mais cette modification a été adoptée sans problème par un vote final de 68 OUI contre 24 NON… Quand on sait que le groupe PLR comporte en principe 26 député·e·s, certains ou certaines ont dû sortir de la salle ; courage fuyons….

Rémy Pagani