Ensemble à Gauche déposait il y a deux ans, en septembre 2019, un projet de loi (PL 12584) proposant d’instituer, par une modification de la Loi sur l’administration des communes (LAC) des conseillers-ères municipaux suppléants dans les diverses communes du Canton. Il a été adopté la semaine dernière.

Le PL s’inspirait du modèle des député·e·s suppléants au GC qu’a introduit la constituante, qu’on connait donc au plan cantonal depuis 2013 et dont les droits ont été d’ailleurs un peu étendus depuis (possibilité de signer des projets, de déposer certains rapports, etc.)

L’un des motifs de cette proposition, dont le premier signataire est Pierre Bayenet, c’est le taux important de démissions dans les Conseils municipaux, dépassant – toutes causes confondues – le 50% des conseillers-ères municipaux au cours de la dernière législature. Ainsi bien sûr aussi que la difficulté à trouver dans diverses communes des candidat·e·s prêts à s’engager dans ce domaine…

Le PL initial d’EAG a été modifié en commission pour laisser la faculté (et non l’obligation) à chaque commune de mettre ou non en place ce système par règlement ad hoc du Conseil municipal concerné. Notre projet de loi initial a donc été assoupli en commission et rédigé en fait quant à sa forme finale par le représentant du Département de la cohésion sociale, Bernard Favre secrétaire général adjoint. Celui-ci a en effet déposé un « amendement général » au projet qui a été adopté par la commission.

Monsieur Favre a en outre attesté de la conformité de ce projet au droit supérieur et il a été voté en commission à l’unanimité, un commissaire PLR déclarant même que la solution proposée, à laquelle nous nous sommes ralliés, « était respectueuse de l’ADN helvétique du consensus ». La solution est du moins pleinement respectueuse des spécificités et de l’autonomie communale…

Une commission unanimement favorable
Ainsi, les communes qui le voudraient, et celles-là seulement, pourront –à teneur de ce projet – décider que des «viennent-ensuite» sur des listes présentées aux Municipales siégeront comme suppléant·e·s en cas de besoin. En termes de besoins, on peut penser en particulier, mais pas seulement, aux parents de jeunes enfants qui pourront se faire remplacer lors de certaines séances municipales, de plénière ou de commission, si le système est adopté dans leur commune.

Outre la fonction d’alléger la charge d’élu·e·s dans les Conseils municipaux et de faire reposer leur travail sur une équipe élargie, ce procédé permettra de « mettre le pied à l’étrier » de la politique municipale pour des candidat·e·s « viennent-ensuite », non élu·e·s, mais qui pourront être amenés à siéger quand même et à faire des propositions en tant que suppléant·e·s.

Cette idée a fait du chemin, depuis qu’une proposition antérieure en la matière, formulée certes un peu maladroitement par le MCG, ceci lors de la dernière législature, avait été repoussée par le Grand Conseil en 2016… A tel point que cette fois c’est la commission des affaires communale (CACRI) unanime qui a approuvé, dans la joie et la bonne humeur, notre projet de loi modifié.

Cet aspect non controversé du projet a conduit le bureau à inscrire cet objet à l’ordre du jour (vert) de la séance du Grand Conseil dite séance des « Extraits », qui sert normalement à traiter en procédure (un peu) accélérée des objets faisant, en principe, consensus.

Le PLR s’agite inutilement
Ainsi, normalement, ce projet aurait été expédié en quelques minutes… Mais le PLR tenait semble-t-il à se faire battre dans un dernier vote de la session… Ainsi, son porte-parole Murat Julian Alder est-il intervenu pour remettre en cause tardivement l’unanimité de la commission et, s’appuyant sur le refus susmentionné en 2016 d’un projet précédent et différent, il a demandé que l’objet soit renvoyé à une autre commission que la CACRI, qui avait eu le mauvais goût de l’approuver.

Ses arguments étaient faibles: il a d’abord prétendu que les ou des communes « n’en voulaient pas », ce qui ne pose évidemment pas de problème puisque le projet n’impose rien aux communes réfractaires, mais permet à celles que ça intéresserait – de la Ville de Genève à Versoix – d’aller de l’avant en la matière.

Le président de l’Association des communes genevoises (ACG), Xavier Magnin, s’est d’ailleurs réjoui de la teneur finale du projet de loi, qui laisse cette marge de manœuvre aux Conseils municipaux. «Ce texte nous convient tout à fait. Il permet de faire la distinction entre des grandes communes comme la Ville de Genève, où l’arrivée de suppléants peut être cohérente, et des plus petites entités qui n’auraient déjà pas suffisamment de viennent-ensuite lors des élections» a-t-il déclaré à la Tribune de Genève au lendemain du débat.

Puis, le député Alder a soutenu avec acharnement que le fait que la Constitution ne parle pas de conseillers·ères municipaux, titulaires ou suppléants d’ailleurs, était un « silence qualifié » qui interdisait qu’on aille de l’avant en la matière sans modification constitutionnelle préalable.

Un avis de droit donne raison aux partisans du projet de loi
Fort heureusement – sur ce point – le Service des affaires communales du Canton avait eu la prudence de solliciter un avis de droit de l’éminent professeur François Bellanger, membre de l’étude Poncet – Turrettini Avocats, qui examine précisément cette question. L’avis de droit en question a été communiqué au Grand Conseil au cours des débats et il conclut sans ambages, aux bout de 18 pages de raisonnements juridiques que nous épargnerons à nos lecteurs·trices au fait que «…la Constitution genevoise ne doit pas être impérativement modifiée pour permettre l’introduction de la suppléance des conseillers municipaux dans la LAC, qui est une loi au sens formel, de sorte que le PL 12584 peut être adopté par le Grand Conseil sans devoir modifier la Cst-GE préalablement » Un désaveu formel et argumenté de la position du député Murat Alder, donc.

En outre, la demande de renvoi en commission formulée par Murat Alder et reprise ensuite par un autre député a été fort heureusement refusée… ouvrant la voie à une entrée en matière sur le projet par 72 voix favorables contre 15 ! On était à bout touchant… Après un petit amendement formel largement accepté en « deuxième débat »… le projet aurait pu/dû être voté de suite.

MAIS la seule conseillère d’État présente, la socialiste Madame Anne Emery Torracinta, nous réservait une dernière surprise… Affirmant «ne pas connaître la position du Conseil d’État» et «ne pas connaître le débat» auquel elle avait pourtant assisté – en l’absence de son collègue le chef du Département de la Cohésion Sociales (DCS) en charge des questions communales Thierry Apothéloz… effrayée aussi sans doute par la tempête dans un verre d’eau déclenchée par le PLR, certes inhabituelle aux « Extraits », elle a refusé de « demander le troisième débat » ce qui est normalement une formalité, mais une formalité indispensable au vote final d’une loi par le Grand Conseil.

Coup de frein et redémarrage en trombe
Ainsi, le débat a couru le risque de s’arrêter là, pour être repris une fois ou l’autre, dans une prochaine session ou aux Calendes grecques… Heureusement, une salutaire levée de boucliers et des manifestations diverses de député·e·s mécontents (dont Jean Burgermeister, chef de groupe EAG particulièrement remonté et sonore) ont conduit le président – sagement – à interrompre brièvement la séance et à se concerter avec le bureau et les chefs de groupes…

Au terme des échanges nourris au cours de cette pause… la Conseillère d’État qui avait renâclé devant l’obstacle s’est heureusement rétractée et a demandé le troisième débat en disant que « C’était au parlement de décider et que s’il ne souhaitait pas voter ce projet il le refuserait… » Le Conseil d’Etat se réservant d’intervenir par la suite en cas de problème…

Mais le refus évoqué par la conseillère d’État n’était pas au rendez-vous, c’est en effet par 61 voix contre 23 que le projet a enfin passé la rampe ! Un nouveau (petit) progrès des droits démocratiques à Genève à mettre au crédit – notamment – de l’activité d’EAG.

Pierre Vanek