Ensemble à Gauche a multiplié les prises de position depuis le début de la crise de COVID-19. Nous proposons ici une synthèse de nos analyses et revendications. Nous avons en effet décidé de déposer un projet de loi visant à financer un plan d’urgence en faveur des victimes les plus fragiles de la pandémie par un prélèvement unique plafonné à 1% sur la part des grandes fortunes qui dépassent 2 millions de francs, qui devrait rapporter jusqu’à 800 millions de francs.

COVID-19 dresse un acte d’accusation contre un ordre social qui a sacrifié le bien commun au profit privé d’une petite minorité de privilégiés. C’est l’objet de la seconde partie de ce document. Sa gravité en termes de souffrances et de pertes humaines résulte des politiques néolibérales qui ont affaibli sur le long terme les systèmes de santé publique (prévention et soins), délocalisé la production de produits pharmaceutiques et de dispositifs de protection sanitaires de base, et généralisé la production à flux tendu, supprimant une grande partie des stocks.

Enfin, COVID-19 ne vient pas du ciel, mais découle directement d’un capitalisme mondialisé générateur de catastrophes. C’est l’objet de la troisième partie de ce document. Le réchauffement climatique est certes sa manifestation la plus préoccupante, mais il provoque aussi le passage de plus en plus fréquent de germes pathogènes dangereux des animaux à l’homme, que ce soit en raison de la déforestation au profit de monocultures d’exportation ou de l’élevage industriel sur une échelle toujours plus vaste.


I. Plan d’action d’urgence contre Covid-19

Les conséquences sanitaires et sociales de COVID-19 ne sont pas les mêmes pour toutes et tous. Elles touchent avant tout le monde du travail, et en son sein, les secteurs les plus précaires, dont ceux qui sont au front, en majorité féminins. De même, le confinement n’est pas vécu de la même manière par les locataires disposant de moins de 15m2 par personne et par les propriétaires de grands appartements ou de villas avec jardin. Enfin, il n’est pas vécu de la même façon par les hommes et par les femmes, ces dernières assumant la plus grande part des charges éducatives, de soin et de ménage. Sans compter qu’elles sont exposées, avec leurs enfants, plus souvent qu’auparavant, aux violences domestiques.

1. Des masques de protection chirurgicaux pour toutes et tous

Un mois et demi après le début de l’épidémie, on ne trouve toujours pas de masques de protection en pharmacie. Les autorités n’ont pas prévu de stocks. On a menti en disant qu’ils ne sont indispensables que pour les personnes malades et les soignant·e·s. En réalité, le port de masques en public, dans les transports en commun et au travail, protège la société en empêchant les personnes infectées d’en contaminer d’autres.

Nous exigeons des masques en suffisance, au besoin en en faisant produire en Suisse.

2. Du gel hydroalcoolique pour répondre aux besoins

Il est incompréhensible qu’une grande quantité de ce produit n’ait pas été mis à disposition de la population gratuitement dès le début de l’épidémie. A contrario, on a vu se développer un marché noir de lotions alcoolisées à prix scandaleux.

La mise à disposition de gel hydro-alcoolique doit répondre aux besoins.

3. Des kits d’analyse pour tester largement la population

En Corée du Sud, on compte aujourd’hui 25 fois moins de morts pour 100 000 habitant·e·s qu’en Suisse. Le gouvernement a misé dès le début sur la production de masques et de kits de dépistage pour enrayer l’épidémie et tracer les foyers d’infection. Avec sa puissante industrie pharmaceutique, la Suisse n’a pas suivi cet exemple. C’était pourtant à sa portée, puisque que Roche AG en produit à Zurich et en vend 400 000 kits par semaine aux USA depuis le 13 mars.

L’État doit imposer à l’industrie pharmaceutique la production et la livraison immédiate à prix coûtant des kits nécessaires aux besoins locaux.

4. Une protection adéquate du personnel

Les travailleurs·euses de la santé, des soins, du social, des transports publics, du nettoyage, de la sécurité publique et de la distribution alimentaire, en première ligne face à la pandémie, ne disposent toujours pas de matériel de protection adéquat ou en suffisance, après des semaines d’efforts au front.

Employeurs privés et État doivent garantir la santé de leur personnel, renoncer à faire travailler les personnes vulnérables et respecter des horaires compatibles avec une sécurité optimale. Toute dérogation à la loi sur le travail doit être acceptée par le personnel et dûment compensée. Toute heure supplémentaire doit être rémunérée comme telle.

5. Suspension de toutes les activités non essentielles

Dans les semaines à venir, il faut stopper durablement la progression de l’épidémie. Le confinement actuel est insuffisant tant que des dizaines de milliers de salarié·e·s sont tenus d’emprunter les transports publics et de se rendre à leur travail pour des activités non indispensables ou urgentes.

Suspendons les activités non indispensables ou urgentes, incompatibles avec le télétravail, jusqu’à ce que l’épidémie recule durablement.

6. Ce n’est pas aux salarié·e·s de payer la crise

Ils-elles subissent des pertes de revenu importantes en lien avec la crise. Le chômage partiel les indemnise à hauteur de 80 % de leur salaire, alors que les cotisations sociales sont prélevées sur le 100%. Le manque à gagner est de l’ordre de 30%. Pourtant, leurs charges n’ont pas diminué (loyers, assurances maladie, charges de famille, etc.)

Maintien des salaires à 100 %. Les mesures de RHT et les assurances pertes de gain doivent couvrir l’intégralité du salaire habituel. À défaut, l’État compense le manque à gagner.

7. Allocations de solidarité pour les plus précaires

Cette crise impacte les plus précaires, avec ou sans perte totale de leur emploi. N’ayant plus la possibilité de travailler, ils-elles n’ont pas tous droit au chômage partiel ou à des indemnités perte de gain, telles que prévues dans le train de mesures fédérales, et ne sont donc plus en état de subvenir à leurs besoins. C’est le cas notamment des intermittent·e·s du spectacle, des travailleuses et travailleurs de l’économie domestique, etc.

Ils-elles doivent pouvoir bénéficier d’une indemnité journalière équivalant au revenu moyen de l’activité lucrative qu’ils-elles exerçaient avant le début du droit à l’allocation, calculé conformément à l’art. 11, al. 1 de la loi du 25 septembre 1952 sur les allocations pour pertes de gain.

8. Régularisation des salarié·e·s sans statut légal

Ils-elles sont très vulnérables, parce que dépendant de leur salaire pour vivre et ne bénéficiant souvent d’aucune protection sociale ni d’aucune assurance maladie. C’est une menace pour eux-elles-mêmes et leurs proches, comme pour la société dans son ensemble.

Comme le Portugal, régularisons tous les salarié·e·s sans statut légal en leur attribuant un permis de séjour de 2 ans.

9. Gel de l’application de la loi sur les étrangers (LEI) pour les personnes au bénéfice d’un permis de séjour ou d’établissement

Les personnes détentrices d’un permis de séjour ou d’établissement ne peuvent recourir à l’aide sociale en raison des règles de la Loi sur les étrangers (LEI). En effet, par arrêté du Conseil d’État genevois du 8 avril 2020, les personnes non comprises dans le dispositif des mesures fédérales et les petits indépendant·e·s doivent demander des aides financières à l’Hospice Général, ce qui expose les personnes non suisses à des sanctions qui peuvent mettre en danger le renouvellement de leur permis.

Gel immédiat des clauses sur l’intégration pour ne pas sanctionner le recours à l’aide sociale de personnes non suisses tant que durent les effets économiques de la crise sanitaire.

10. Aide aux personnes confinées, en particulier aux femmes, aux enfants et aux aîné·e·s

Avec le confinement, la prise en charge des tâches ménagères, éducatives et de soin, en grande part par les femmes, souvent astreintes au télétravail, pose de sérieux problèmes. Les mères célibataires et/ou avec un/des enfants handicapés sont particulièrement exposées. Il en va de même des personnes âgées, handicapées ou vulnérables, qui ne disposent pas de proches aidants pour veiller à leur approvisionnement. Le confinement peut aussi accroître les violences envers les femmes et les enfants, nécessitant une attention particulière des services publics et associations appropriées.

Canton et communes, avec l’aide des associations concernées, doivent mettre en place les services d’appui indispensables pour répondre à ces besoins de façon solidaire.

11. Sanctions contre les entreprises qui profitent de la crise pour licencier

Certaines entreprises profitent des mesures mises en place par la Confédération pour les détourner de leur but. Elles font appel au chômage partiel et licencient des salarié-e-s après avoir obtenu ces aides.

Le chômage partiel vise au maintien de l’emploi. Il est inacceptable que des entreprises en bénéficient, puis licencient. Dans ce cas, elles doivent rembourser les indemnités de réduction de l’horaire de travail obtenues. Sinon, l’État doit les poursuivre pour fraude aux assurances sociales.

12. Extension des délais de versement des aides aux études

Les personnes aux études bénéficiant de bourses ou de prêts vont devoir protéger leurs études en raison de l’interruption des cours, de la fermeture des bibliothèques, etc.

Exigeons la prolongation de la durée de ces aides de deux semestres pour que les personnes aux études nécessitant une aide financière publique ne soient pas pénalisées par la crise sanitaire.

13. Aide publique au logement en cas de licenciement ou de réduction de revenu

Les personnes victimes de licenciement ou de baisses de revenus en raison de COVID-19 ne peuvent faire face au paiement de leur loyer.

L’État doit leur accorder une indemnité logement couvrant leur perte de revenu afin que la crise sanitaire ne les expose pas à des mesures de rétorsion de la part de leur bailleur.

14. Fonds de solidarité cantonal pour indemniser les victimes de COVID-19

Les mesures d’urgence que nous proposons ont un coût. C’est le prix à payer pour sauver des vies, prévenir des souffrances et éviter une crise sociale majeure. Pour cela, il faut épargner les revenus du travail, fortement impactés par la crise, en sollicitant une contribution de solidarité de la part de celles·ceux qui disposent des plus grandes fortunes.

Pour cela, nous déposons un projet de loi qui prévoit un prélèvement unique plafonné à 1% sur la part des fortunes cantonales qui dépassent 2 millions, soit 5000 F. pour une fortune de 2,5 millions. Cet impôt de crise devrait rapporter jusqu’à 800 millions de francs pour alimenter un fonds d’indemnisation des salarié·e·s, des précaires et des familles victimes de COVID-19.


II. Œuvrer au bien commun

La priorité de nos sociétés doit être de travailler à garantir à chacun·e ce qui est nécessaire au bien commun: alimentation de qualité; logements répondant aux besoins; système de santé public gratuit axé sur la prévention et offrant les meilleurs soins à toutes·tous; formation permettant à chacun·e de développer toutes ses potentialités; respect d’un métabolisme équilibré entre environnement naturel et activités humaines; encouragement à la recherche pour soutenir de tels objectifs. Réaliser ces buts est possible immédiatement, à condition que le travail de toutes et tous vise à répondre aux besoins prépondérants de la société dans son ensemble, et non à la recherche insatiable du profit d’une petite minorité. Nous envisageons le revenu universel de base comme un droit collectif à la mise à disposition gratuite des biens et services indispensables. Il passe donc par une extension massive du domaine des services publics, des assurances sociales et de la gratuité.

Nos priorités sont:

  1. Réduction massive du temps de travail. En Suisse la moyenne du temps de travail effectif est i de 36 heures, parce que les femmes sont souvent astreintes à des temps partiels parce qu’elles accomplissent l’essentiel des tâches de reproduction. Pour aller vers l’égalité femmes-hommes, il faut réduire le temps de travail à 35 heures pour toutes·tous et aller vers le partage égal des charges et responsabilités éducatives, de soin et de ménage non prises en charge par les services publics (v. ci-dessous).
  2. Service public de santé combinant prévention et formation (dans les écoles et le monde du travail), soins (à domicile, hospitaliers, en EMS, dentaires), contrôle public de l’industrie pharmaceutique (pour garantir la production des médicaments et équipements indispensables) et recherche, accessible à toutes·tous grâce à une assurance universelle financée paritairement par les salarié·e·s et les employeurs, avec cotisations proportionnelles au revenu, selon le système de l’AVS.
  3. Service public de l’éducation, des structures d’accueil de la petite enfance aux hautes écoles, incluant les disciplines artistiques et sportives, luttant contre les discriminations de genre, attentif aux difficultés de chacun·e afin de permettre le développement des potentialités de toutes·tous, avec un soutien massif à la recherche publique visant à répondre aux besoins sociaux prépondérants.
  4. Service public de l’AVS-AI basé sur une extension massive du mécanisme de répartition, permettant de maintenir le niveau de vie des aîné·e·s et des handicapé·e·s de façon appropriée, comme le veut la constitution. En versant nos cotisations LPP à l’AVS-AI, en maintenant les subventions publiques actuelles à l’AVS-AI et en transformant la fortune totale du 2e pilier (1000 milliards) en fond de réserve, nous pourrions garantir des prestations AVS-AI+++ équivalant à 80% du dernier salaire, avec un plancher à 4000 F. et un plafond à 8000 F., réduisant massivement les inégalités femmes-hommes.
  5. Service public du logement visant au contrôle public des bâtiments locatifs et des terrains à bâtir, afin que les loyers ne dépassent pas le 10% du revenu déterminant unifié (RDU) et que de larges compétences soient données aux habitant·e·s pour la gestion des immeubles et des quartiers. Les 1000 milliards du fonds de réserve de l’AVS+++ pourraient être affectés à l’achat d’immeubles locatifs et de terrains à bâtir, ainsi qu’à l’isolement thermique des constructions.
  6. Service public de l’environnement, en charge de: a) de planifier le remplacement du transport aérien sur moins de 1000 km par le rail, mais aussi de l’automobile par des transports en commun gratuits et par la mobilité douce en zone urbaine; b) de planifier l’isolement thermique à bref échéance de tout le domaine bâti; c) de soutenir l’agriculture biologique de proximité, les circuits courts et la réduction massive des déchets liés au conditionnement de la distribution alimentaire; d) d’interdire la publicité commerciale.

L’optimisation du bien commun n’est réalisable qu’en rompant avec des choix d’activités productives et de services dictés par la maximisation du profit privé. Elle implique le contrôle public de secteurs d’activité fondamentaux. Elle nécessite aussi un financement accru des services publics et des prestations sociales par une fiscalité fortement redistributive de la propriété foncière, des gros héritages, des grandes fortunes, des dividendes gros actionnaires, des bénéfices des entreprises, ainsi que de toutes les formes de spéculation.


III. Le capitalisme porte les catastrophes comme la nuée porte l’orage

Le capitalisme mondialisé est responsable de nombreuses catastrophes, dont la plus connue est le sous-développement, causant la mort prématurée de centaines de millions de personnes par an, due à la faim, aux eaux contaminées, aux maladies curables, à la pauvreté endémique et aux guerres pour les ressources, y compris pour l’eau et la terre cultivable. Cette calamité du 20e siècle qui poursuit ses ravages sous nos yeux, se double d’un creusement des inégalités qui génère une misère de masse jusque dans les pays du Nord. À ces calamités, il faut ajouter aujourd’hui les effets délétères du réchauffement climatique et la destruction de la biodiversité qui menace les conditions de vie de centaines de millions d’humains dans les 20 ou 30 prochaines années.

Comme si cela ne suffisait pas, nous assistons aujourd’hui au retour en force des grandes pandémies infectieuses mondiales, au-delà des épidémies de grippe saisonnières plus ou moins dangereuses, contre lesquelles la vaccination est généralement efficace. COVID-19 va en effet faire plusieurs centaines de milliers de morts dans le monde en quelques mois. Il est un effet indirect de la mondialisation capitaliste, dû vraisemblablement à l’exportation de viande de brousse d’Afrique en Chine. Depuis les années 2000, l’exportation et la consommation de la chair d’animaux sauvages a explosé. Ele menace plusieurs espèces d’extinction et représente un vecteur de transmission de nouvelles maladies infectieuses, comme le sida (25 à 45 millions de morts), ebola ou différents syndromes respiratoires aigus sévères (SARS, MERS, COVID-19).

La consommation accrue de viande de brousse résulte de la destruction des forêts tropicales, de l’accaparement des terres par des investisseurs privés, et de la fragilisation des communautés touchées, qui n’ont plus de quoi se nourrir. Elle favorise l’expansion de la transmission de germes infectieux, notamment par les chauves-souris et les moustiques. Les monocultures d’huile de palme attirent particulièrement les vecteurs de plusieurs types de virus pathogènes vers les zones habitées. Les moustiques sylvestre porteurs de virus dangereux, comme la dengue, le chigungunya ou zika, cèdent la place à des moustiques anthropophiles, qui infestent les monocultures et les bidonvilles. Ils commencent même à remonter vers les régions tempérées, portés par les échanges commerciaux et le réchauffement climatique.

A ces nouvelles pandémies résultant de la déforestation, de la destruction de la biodiversité et du réchauffement climatique, il faut ajouter celles qui découlent de l’élevage industriel, en particulier des poulets et des porcs. Il concourt à la production industrielle de nouveaux germes, notamment des virus mutants de la grippe aviaire de type H5Nx ou porcine de type H1N1. Les élevages en batterie sont aussi propices à la colonisation de bactéries pathogènes, comme Salmonella ou Escherichia Coli. L’usage massif d’antibiotiques pour contribue au développement de souches microbienne résistantes, notamment de staphylocoques dorés. Sans parler des affections transmises par la nourriture industrielle aux animaux, qui peuvent être transmises à l’homme, comme l’encéphalite spongiforme bovine, ou la «maladie de la vache folle».

Pour éviter de foncer tête baissée dans le mur, nous devons sortir du capitalisme. C’est une nécessité vitale pour l’espèce humaine et pour les différentes formes de vie qui se sont développées sur la planète terre. Le plus tôt sera le mieux.

QUE FAIRE FACE AU RETOUR DES PANDÉMIES INFECTIEUSES ?

Afin d’éviter la répétition de COVID-19, demain avec des germes potentiellement plus dangereux, rompons avec le capitalisme globalisé porteur de catastrophes: combattons le creusement des inégalités sociales; endiguons le réchauffement climatique; stoppons la destruction de la biodiversité; refusons la colonisation de nos assiettes par l’agrobusiness; exigeons la décroissance du transport aérien.