Dans une période de crise sanitaire comme celle que nous vivons, il est plus essentiel que jamais que nos institutions démocratiques puissent continuer à fonctionner. Vous trouverez reproduit ci-dessous un courrier envoyé à la Présidente du Conseil national, Isabelle Moret, par la conseillère nationale Ensemble à Gauche, Stefanie Prezioso, le 13 mars dernier.

Madame la Présidente du Conseil national
Chère Isabelle Moret,

Les nouvelles qui nous parviennent du monde entier sur l’avancée de Covid-19 ne sont guère réjouissantes.

La Suisse semble se trouver, au niveau mondial, juste derrière l’Italie en proportion de sa population, même s’il nous est dorénavant impossible de comparer les chiffres, puisque seules les personnes vulnérables présentant des symptômes sont testées. Aujourd’hui l’épidémie ne peut plus être arrêtée ; elle peut être seulement freinée ce qui signifie en clair que le virus devrait toucher à termes la majorité de la population (c’est la définition d’une pandémie), la question décisive est de savoir quand (si possible évidemment après la mise au point d’un vaccin ou d’un traitement efficace). Je ne sais pas si le prof. Adriano Aguzzi, directeur de l’Institut de neuropathologie de l’Université de Zurich, a raison d’affirmer que la « Suisse se trouve aujourd’hui là où l’Italie était il y a deux semaines, et que dans deux semaines, nous serons là où l’Italie se trouve aujourd’hui ». Mais dans tous les cas, il serait prudent de l’écouter, lorsqu’il défend qu’il serait temps « de fermer MAINTENANT toutes les institutions non essentielles et d’éviter plus de dégâts en aval » (Heidi News, 9 mars 2020). En effet, l’Italie a connu son premier mort le 21 février dernier, il y a deux semaines et demi. Elle en avait 150 il y a une semaine, et un millier aujourd’hui. A titre de comparaison la grippe saisonnière tue en moyenne 400 personnes par an selon les statistiques italiennes, alors qu’elle circule dans toute la population et que nous disposons d’un vaccin efficace.

Le 11 mars, le Conseil d’État genevois décidait d’interdire tout rassemblement de plus de 100 personnes et imposait une distance de sécurité d’1,5m au moins entre les personnes (salles de spectacles, réunions professionnelles etc…). Le jour suivant, le Grand Conseil genevois annonçait que les député.e.s siègeraient dans une composition de salle modifiée afin de garantir leur présence et la tenue des débats et qu’il mettait en place un système de contrôle de la température des personnes entrant dans le bâtiment.

Dans une période de crise sanitaire comme celle que nous vivons, il est plus essentiel que jamais que nos institutions démocratiques puissent continuer à fonctionner. Face à une situation inédite d’une aussi grande gravité, il me semble nécessaire que notre Parlement prenne lui aussi des mesures exceptionnelles. Cette session ira peut-être à son terme, sans mesures exceptionnelles. Mais la situation va sans doute aller en s’empirant et les sessions de mai et de juin sont d’ores-et-déjà prévues. Les mesures prises pour cette session ont été un peu timides et n’ont pas garanti la présence des personnes vulnérables au débat. Il serait particulièrement dommageable que notre Conseil national n’assure pas les conditions indispensables à la tenue de débats démocratiques en son sein, où toutes les voix, y compris celles des personnes vulnérables définies par l’OFSP et élues par le peuple, puissent être entendues. Les personnes vulnérables qui respectent les prescriptions de l’OFSP (ce qui est mon cas), ne peuvent plus se rendre au Conseil national et représenter celles et ceux qui les ont élues ; ce qui est, vous l’admettrez aisément, un vrai problème démocratique. Au vu de la progression du virus, il semble probable que le Parlement devra prendre des mesures drastiques et en urgence pour les sessions de mai et de juin ; je vous demande instamment de faire d’ores et déjà un pas significatif dans cette direction. Si pour les commissions, il semble possible d’assurer un espace de sécurité entre les personnes en utilisant des salles plus grandes et appropriées aux personnes particulièrement vulnérables, la salle du Conseil national ne se prête pas à des dispositions d’urgence.

Plusieurs solutions pourraient être envisagées : changement de salle (la salle du Conseil national pourrait valablement être allouée au Conseil des États qui respecterait ainsi les distances de sécurité), procédure de vote en ligne (une option envisagée par le gouvernement italien) ou participation dans des salles séparées des personnes vulnérables au débat avec possibilité de prise de parole par visio-conférence. 

Les enjeux que soulève une telle période en termes de protection de l’écrasante majorité de la population et parmi eux des plus vulnérables (salarié.e.s, personnel soignant, personnes âgées,  personnes migrantes, intermittents du spectacle, usagers.ères des transports publics…) nécessitent la tenue d’un débat démocratique le plus large et ouvert possible. Toutes les voix doivent pouvoir être entendues.

Cette lettre ne reflète pas une position personnelle mais un point de vue politique, raison pour laquelle vous comprendrez que je me réserve le droit de la rendre publique.

Avec mes meilleures salutations
Stéfanie Prezioso 
Conseillère nationale 
Ensemble à Gauche Genève