Jeudi dernier, 11 novembre 2021, il s’est trouvé une majorité absolue du Grand Conseil pour élire notre camarade Pierre BAYENET, député suppléant d’Ensemble à Gauche, à l’un d’entre la quarantaine de postes de procureur·e·s que comporte le Ministère public genevois. Pierre quittera donc le Grand Conseil et son statut de député dès son entrée en fonction comme procureur, prévue au 1er janvier prochain. Son élection représente représente un succès, pour lui bien sûr, mais aussi pour EAG, contre un système dans lequel certains partis, notamment ceux de l’Entente : soit le PLR et le PDC, trustent une proportion des postes judiciaires bien au-delà du poids de de leur représentation au parlement et donc de leur électorat.

Ce système fonctionne par arrangements au sein de la commission judiciaire dite « interpartis » où l’on s’accorde entre soi, le plus souvent, pour désigner des candidatures uniques, qui transforment les élections par le Grand Conseil (entre deux renouvellements généraux où le peuple peut censément être appelé à se prononcer) en élections tacites, soit en pures formalités.

Mais avec ce système EAG, qui aurait théoriquement droit, au pro rata de sa force parlementaire, à une petite quinzaine de magistrat·e·s, en a moins de trois… Avec la candidature de Bayenet à un poste de procureur, la commission interpartis aurait, raisonnablement et pour aller dans le sens de l’équilibre des représentations, dû le désigner comme son candidat, aucun doute ne pouvant être émis sur son sérieux et ses compétences pour ledit poste.

A teneur de la loi sur l’organisation judiciaire, c’est d’ailleurs un autre organe, officiel lui, le Conseil supérieur de la magistrature, qui est appelé à donner un préavis sur les candidatures portant «sur les compétences du candidat et son aptitude à devenir magistrat » (art.22 al.2 LOJ). Ce préavis – favorable ! – Pierre Bayenet l’a bien sûr obtenu…

Deal, discutable… et désavoué

Cependant, la commission interpartis a cru bon, malgré la sous-représentation chronique et flagrante d’EAG et la valeur incontestable de son candidat, d’en recommander un autre – PLR celui-ci – avec l’aval un peu surprenant des  représentant·e·s du PS et des Verts… dans le cadre d’un « deal » entend-on, où ce serait l’un·e des leurs qui aurait eu une autre place se libérant prochainement. Un peu douteux, non ?

Mais la commission interpartis n’a – en fait – aucune fonction officielle, elle préavise simplement. Et, dans ce cas, Pierre Bayenet – qui n’avait aucune espèce d’obligation, ni morale, ni politique, ni légale, de se retirer – a maintenu sa candidature, imposant une élection «ouverte» par le Grand Conseil qui est là pour ça, à teneur de la Loi portant règlement du Grand Conseil (LRGC art.2 – lettre l).

Pierre a bien fait. En effet, ce parlement où la gauche est pourtant (trop) minoritaire, a voté massivement Bayenet, qui a obtenu une majorité absolue de 51 voix sur 99 au premier tour. Avec deux votes blancs, le candidat malheureux du PLR a obtenu le score, honorable mais insuffisant, de 46 voix. Précisons cela va sans dire, mais mieux peut-être en le disant, que Pierre lui-même n’a naturellement pas participé au vote.

La messe aurait dû être considérée comme dite : notre élu a en effet prêté serment derechef pour son entrée en fonction en début d’année prochaine… et nous lui souhaitons une longue et heureuse carrière au service de la justice dans ce canton qui a bien besoin de lumières nouvelles.

Deux éléments supplémentaires méritent d’être rapportés, pour la plus-value comique qu’ils apportent à l’affaire. D’abord, malgré l’opacité qui entoure les travaux de la commission interpartis : il semblerait que l’argument invoqué par la droite pour ne pas retenir la candidature de Pierre Bayenet aurait été que son engagement politique du côté d’EAG serait rédhibitoire.

Un·e candidat·e ayant postulé pour des fonctions politiques n’aurait pas à postuler, ensuite, pour une fonction de magistrat du pouvoir judiciaire, aurait allégué un ponte de droite, « ça ne se fait pas ! ».

Mémoire sélective ou tentative post hoc, inspirée souterrainement par qui vous savez, de discréditer le procureur général, le très honorable Olivier Jornot, dont le riche parcours politique- à travers plusieurs partis – d’élu municipal, d’élu au Grand Conseil, de président de (grand) parti et de candidat à la candidature au Conseil d’État… relègue, malheureusement reconnaissons-le, la carrière politique du modeste député suppléant Pierre Bayenet à relativement peu de choses ?

Ou alors s’agissait-il de faire payer à Pierre l’audace d’avoir contesté en 2014 l’élection pour le poste de procureur général et d’avoir recueilli près du tiers des suffrages populaires?  …l’audace, en somme, d’avoir fait fonctionner, comme dans ce cas-ci, les mécanismes démocratiques prévus par nos lois en la matière? Ce serait d’une mesquinerie déplorable !

Mesquinerie malhabile… de mauvais perdants

Mais la mesquinerie a bien été au rendez-vous, à droite du Grand Conseil en fin de session vendredi. Dans le cadre de leur tentative malhabile, et heureusement avortée, de flibuste parlementaire visant à empêcher et à faire reporter le vote du projet de réforme du Cycle d’Orientation, des députés PLR sont intervenus, frénétiquement et en poussant de haut cris, pour prétendre que la présence ce soir-là de Pierre Bayenet, assurant fidèlement jusqu’au bout son office de député suppléant, était un scandale violant très gravement la séparation des pouvoirs et une offense insoutenable faite aux mânes de Montesquieu…

C’était tout simplement idiot. L’article sur l’incompatibilité en la matière de notre Loi sur l’organisation judiciaire (LOJ) est l’art.6 qui précise bien dans son titre qu’il s’agit d’une incompatibilité « à raison de la fonction ». Les magistrat·e·s du pouvoir judiciaire ne peuvent donc en effet « à raison de leur fonction » être membres du Grand Conseil.

Or ladite fonction dans le cas du futur procureur Bayenet ne prend effet qu’en début d’année prochaine, ce qui a été précisé au moment de son élection et de sa prestation de serment. Pierre était d’ailleurs intervenu la veille sur plusieurs points sans que personne n’y trouve à redire.

Mais, faisant feu de tout bois, des caciques du PLR se sont saisi de cette objection infondée… ce qui leur a permis de nous démontrer que, si nul n’est censé ignorer la loi, ils constituent parfois, surtout quand ça les arrange, une exception qui confirme cette règle importante.

Pierre VANEK