Les décès attribués à COVID-19 varient fortement selon les pays, de même que leur progression journalière. Il semble bien que la létalité inégale de cette maladie selon les États dépende des politiques de santé publiques menées par chacun d’eux depuis 20 ans. Elles s’expriment concrètement par un différentiel important de lits en soins intensifs pour 1000 habitants. Dans ce domaine, les politiques néolibérales révèlent aujourd’hui pleinement leur coût humain, mais aussi leur irrationalité économique.

Bien entendu, nous ne pouvons pas déterminer, même de façon grossière, l’évolution du nombre de personnes infectées, puisque cette donnée dépend des tests réalisés. En revanche, le nombre de décès est une donnée robuste. Ainsi, si l’on considère les statistiques fournies par le John Hopkins Coronavirus Resource Center, aujourd’hui, en milieu de journée, le nombre de morts attribuables à COVID-19 pour 100 000 hab. serait de 10 en Italie, de 5,8 en Espagne, de 1,4 en Suisse, de 1,3 en France, de 1,2 en Hollande, de 0,5 au Royaume-Uni, et de 0,2 en Chine, en Corée du Sud et en Allemagne. On notera qu’aux États-Unis, la pandémie a démarré avec un temps de retard significatif, mais qu’elle progresse aujourd’hui plus vite que partout ailleurs.

On le sait, COVID-19 n’est pas une maladie grave pour la plupart des personnes touchées, et ne nécessite une hospitalisation que dans 15% des cas (probablement moins, compte tenu du sous-enregistrement des individus porteurs du virus dans la population). Ce sont essentiellement des personnes âgées ou présentant une ou plusieurs comorbidités. Mais pour cette minorité de malades, qui représente potentiellement des millions personnes dans le monde, elle peut être très dangereuse et entraîner la mort. D’où la nécessité d’hospitaliser les cas sévères, de leur administrer différents traitements encore à l’essai (la chloroquine, des antibiotiques et plusieurs antiviraux) et de disposer de suffisamment de lits en soins intensifs pour venir en aide aux personnes dont le pronostic vital est engagé.

Il semble que c’est à cet échelon ultime, que l’engorgement des services hospitaliers est actuellement le plus préoccupant. Les récits inquiétants, notamment en provenance d’Italie, faisant état de la nécessité pour les soignants de faire un choix parmi les malades en détresse respiratoire en fonction des chances de survie de chacun, traduit cette réalité de façon particulièrement dramatique. Or, le nombre de lits en soins intensifs résulte de choix politiques effectués au cours de ces 20 dernières années, en particulier de la brutalité des politiques d’austérité menées dans le domaine de la santé publique, ici dans le domaine des soins intensifs, raison pour laquelle il vaut la peine de comparer son évolution dans les principaux pays touchés par COVID-19 aujourd’hui.

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Le graphique ci-dessus, que j’ai établi à partir des statistiques de l’OCDE, donne une image comparative saisissante du nombre de lits en soins intensifs pour 1000 habitants dans les 11 pays aujourd’hui les plus touchés par COVID-19, de 1998 à 2017. Partout, il diminue de façon très nette, à l’exception de la Corée du Sud, qui a connu une évolution à contre-courant. C’est aussi le pays qui s’en sort aujourd’hui le mieux pour contenir l’expansion de la pandémie et réduire le taux de létalité de la maladie. Parmi les autres pays, l’Allemagne, l’Autriche et la Belgique, bien qu’ayant enregistré une baisse sensible du nombre de lits pour 1000 hab., disposent encore d’un potentiel nettement supérieur à celui des autres États. Ils enregistrent aussi un nombre de décès plus réduit. Enfin, les pays qui ont subi les réductions les plus fortes de leurs lits en soins intensifs et disposent aujourd’hui des moyens les plus réduits, en particulier la Suisse, la Hollande, la France, l’Italie et l’Espagne, sont aussi les plus durement touchés.

Il semble donc bien qu’il y ait un lien entre la létalité particulière de COVID-19 en Italie, en Espagne, en Suisse, en France et en Hollande, et la brutalité des politiques néolibérales pratiquées dans le domaine de la santé, en particulier dans celui des soins intensifs, dont l’évolution du nombre de lits par rapport à la population est un indicateur parlant. Les États-Unis ont été touchés par cette épidémie, rappelons-le, un peu plus tard que les autres, mais sa diffusion très rapide et sa létalité élevée résultent évidemment des mêmes causes politiques.

Jean Batou